La deuxième rencontre de cette série s’est tenue le 16 mars autour de la stratégie du secteur industriel face à l’urgence climatique : modes de consommation, efficacité énergétique, décarbonation, économie circulaire, quels sont les principaux leviers d’innovation pour une production industrielle compatible avec les limites planétaires ?
Animée par Grégory Richa, directeur associé de OPEO Conseil, la conférence a réuni Fabrice Boissier, directeur général délégué de l’ADEME, Bruno Nicolas, directeur de la marque Actemium (groupe VINCI Énergies), Clara Mouysset, Impact Investment Director Private Equity chez Tikehau Capital, et Stéphane Rutkowski, directeur général de Circulère, filiale économie circulaire de Vicat.
L’industrie est régulièrement pointée comme une source importante de rejet des gaz à effet de serre (GES). Face à leur responsabilité dans l’accélération de la dégradation écologique, les industriels sont de plus en plus nombreux à engager d’importants programmes, qui dépassent les seules frontières de leurs sites de production. Car l’enjeu appelle une prise en compte globale de la chaîne de valeur industrielle, depuis les phases amont (extraction des ressources) jusqu’aux étapes aval (fin de vie et recyclage) en passant par les activités centrales de cœur d’usine et les différents maillons de sous-traitance, de transport et de distribution. La question climatique renvoie qui plus est à des dimensions multiples : comportements, innovations technologiques, mise en œuvre de coopérations et de synergies, modèles de financement…
Pour Fabrice Boissier, l’urgence climatique met les industriels, au même titre que l’ensemble des parties prenantes de la société, face à des choix. L’Ademe a imaginé pour la France métropolitaine quatre scénarios types, aboutissant tous à la neutralité carbone du pays, mais inspirés de choix de société différents. Il n’y a pas de solution miracle, a insisté le directeur général délégué de l’ADEME, mais il y a des choix de société à faire, où l’industrie occupe une place différente : baisse de la demande dans les scénarios 1 et 2, recherche de décarbonation complète de l’offre dans les scénarios 3 et 4. Où placer alors le curseur entre sobriété et efficacité énergétiques ? Voulons-nous parier sur notre capacité future de réparation ou engager immédiatement une stratégie de frugalité ? Il convient de soumettre les différents scénarios de décarbonation au débat démocratique pour décider en connaissance et en concertation, planifier les transformations en associant État, territoires, acteurs économiques et citoyens.
Bruno Nicolas a tenu à préciser que si l’industrie est responsable d’une partie significative de l’extraction des ressources naturelles et des émissions de GES, elle est également porteuse de solutions. Et d’insister, lui aussi, sur la nécessité de faire des choix. Mentionnant l’engagement des 400 entreprises de la marque Actemium (groupe Vinci Énergies) dans l’innovation durable, il a notamment défendu l’utilisation de l’hydrogène pour produire de l’énergie ne libérant pas de dioxyde de carbone. Alors qu’aujourd’hui l’hydrogène, majoritairement produit par vaporeformage de gaz naturel, rejette autant de CO2 que secteur du transport aérien, l’industrie peut selon Bruno Nicolas faire le pari d’un hydrogène vert, en misant sur des procédés comme l’électrolyse de l’eau. Si elles demeurent suspendues à un modèle économique encore à définir (coûts, problèmes de stockage…), ces promesses d’un hydrogène bas carbone seront d’autant plus intéressantes qu’on les envisagera dans une logique d’effacement, en organisant la capacité des industries à diminuer leur consommation d’énergie à chaque fois que le réseau global en réclame.
Stéphane Rutkowski a, pour sa part, témoigné de l’engagement de l’industrie cimentière dans la réduction des rejets carbone, notamment au travers de l’économie circulaire. La production de ciment représente encore 5% des émissions de GES à l’échelle mondiale, a-t-il rappelé, précisant qu’il faut l’équivalent de 100 kilos de charbon pour produire une tonne de ciment. C’est pourquoi le groupe Vicat s’est engagé à produire un ciment zéro fossile d’ici 2025. Objectif déjà atteint aux deux tiers, selon le directeur général de Circulère. Une stratégie qui passe notamment par le recours à l’énergie des déchets (bois de déchèterie, pneus usagés, farines animales…).
Clara Mouysset, de Tikehau Capital, rappelle quant à elle que si l’on veut atteindre les objectifs de la Stratégie Nationale Bas-Carbone en 2050, il faudrait avoir retrouvé en 2030 le niveau des émissions des années 70. Cela revient à annuler en l’espace de « 3 000 jours » les effets de la croissance de ces cinquante dernières années. Ce constat invite, selon elle, à investir massivement et sans attendre dans le développement des technologies existantes (récupération de chaleur, amélioration de l’efficacité énergétique industrielle, électrification accélérée de l’industrie), aux résultats aussi probants que rapides. Les outils financiers existent, de plus en plus adaptés à une logique de mesure à 360° des externalités.
L’industrie doit se transformer en profondeur pour s’adapter à une demande en mutation et pour décarboner sa production. Quels que soient les choix qui seront opérés en priorité, ils devront surtout être cohérents. Cela nécessitera des plans d’investissements de grande ampleur et un effort de l’ensemble de la société pour accompagner les territoires en mutation et former les salariés aux nouveaux métiers.
Le cycle est organisé en partenariat avec VALGO, Energy Observer Foundation, OPEO Conseil et la Société d’Encouragement pour l’Industrie Nationale. Retrouvez l’ensemble des ressources sur la page du cycle.