Que ce soient les vagues de températures extrêmes, les ilots de chaleur urbains ou encore à l’échelle mondiale les migrations climatiques qui devraient s’intensifier dans les années à venir, nos territoires vont être mis à rude épreuve et vont devoir évoluer pour faire preuve de résilience. Sous des contraintes environnementales fortes et avec une augmentation de la démographie, les bâtisseurs vont devoir s’adapter pour construire la ville durable et désirable de demain.
Face aux îlots de chaleur urbains les villes redoublent d’effort
Dans les espaces urbains, le revêtement des rues, les pierres des immeubles, mais aussi les climatisations, sont responsables de la formation d’îlots de chaleur. La température des villes peut atteindre entre 4°C et 8°C de plus par rapport aux zones rurales voisines se trouvant à seulement une cinquantaine de kilomètres. En l’absence de végétation en ville, l’énergie solaire est emmagasinée dans les matériaux des bâtiments, le bitume des routes et surfaces imperméables, empêchant l’évaporation de l’eau des sols. La végétation qui joue normalement ce rôle de captation de l’énergie solaire avec l’eau des sols pour sa photosynthèse a peu à peu déserté les villes avant de retrouver ces dernières années un élan sous de nouvelles formes.
En effet, la lutte contre l’artificialisation prend de l’ampleur. Le projet de loi Climat et Résilience, adopté le mercredi 5 mai par l’Assemblée nationale, définit un objectif dans son article 47 de réduction par deux du rythme d’artificialisation des sols sur les dix prochaines années par rapport à la décennie précédente. Au cœur des politiques publiques, cette lutte permet de favoriser la biodiversité, améliorer le cadre de vie, la qualité de l’air et de lutter contre les îlots de chaleur urbains. Des pelouses, des arbres, des plans d’eaux, des toits et des murs végétaux voient le jour répondant ainsi à des enjeux environnementaux, sociaux et sanitaires.
Les villes s’emparent de ces sujets et n’avancent plus seules. Les acteurs privés : citoyens, bailleurs sociaux ou promoteurs immobiliers, deviennent eux aussi moteur de ce changement, à l’image de Nancy proposant un financement des travaux des jardins à hauteur de 70% à ses citoyens si les espaces verts sont visibles depuis l’espace public ou encore de Grenoble qui propose jusqu’à 8 000 euros de subvention pour des travaux similaires. Les villes représentent donc des lieux de concentration de la chaleur. Les différents acteurs de la construction des villes sont ainsi appelés à se mobiliser pour lutter contre ces îlots de chaleur urbains.
Des vagues de températures extrêmes plus récurrentes et plus intenses
Sur le territoire français, le phénomène de vague de chaleur est un élément de plus en plus perceptible en raison de son intensification. A chaque changement de saison, l’impact de ce réchauffement se fait sentir. En été avec les canicules et les sècheresses, en hiver avec les montagnes dépourvues de neige ou encore, très récemment, suite à un début de printemps plus chaud que la normale. Ce climat plus doux et trop précoce n’ayant pas perduré, une vague de froid est ensuite venue détruire de nombreuses récoltes arboricoles et viticoles. On estime à environ 30% les pertes viticoles pour l’année 2021 sur l’ensemble du territoire français et seulement dans les quatre départements du Languedoc le chiffre devrait s’élever à 500 millions d’euros de pertes pour les coopératives viticoles.
Quelques années auparavant, en 2003, l’Europe a connu une canicule d’une ampleur exceptionnelle. Entre le 1er août et le 20 août, l’INSEE, l’INSERM (Institut national de la santé et de la recherche médicale) et de l’INED (Institut national d’études démographiques) ont convergé vers une estimation d’environ 15 000 décès en France en raison de ces températures extrêmes. Ce phénomène de vague de chaleur devrait continuer de s’intensifier dans les années à venir. Alors qu’on comptait en moyenne moins de 5 jours de vagues de chaleur sur la période 1976-2005, Météo France estime qu’il y a « 3 chances sur 4 pour que ce nombre augmente au moins de 5 à 10 jours supplémentaires dans le sud-est et de 0 à 5 ailleurs à l’horizon 2021-2050 ». Sans politique climatique, toujours par rapport à la période 1976-2005, ce nombre de jours pourrait augmenter de 5 à 25 jours du nord vers le sud au cours de la deuxième moitié du siècle.
Les migrations climatiques : une conséquence préoccupante du réchauffement climatique à l’échelle mondiale
À l’échelle mondiale, l’augmentation des températures pourrait mettre en évidence une crise d’une ampleur considérable : la crise migratoire et démographique. En effet, même dans les scénarios d’évolution de la température les plus optimistes, de nombreux territoires comme l’Amérique du sud, l’Afrique central, l’Asie du sud, le nord de l’Australie ou encore les îles du Pacifique pourraient devenir inhabitable pour l’homme plusieurs jours, voire plusieurs mois par an. Des conditions extrêmes, combinant une température aux alentours de 35°C et une humidité de 100% dans l’air, assureraient la mort en seulement quelques heures à tout organisme humain, peu importe l’âge, la condition physique ou la santé des personnes. C’est ce qu’affirme une étude publiée en 2020 par des chercheurs américains et britanniques dans la revue scientifique Sciences Advances, expliquant qu’une « température humide », terme scientifique pour ces conditions météorologiques, supérieure à 35 °C avait été mesurée «pendant une heure ou deux » dans deux villes du Pakistan et des Emirats arabes unis.
En parallèle, la population mondiale ne cesse d’augmenter. Nous étions autour de 1,5 milliard en 1900, nous sommes actuellement plus de 7,5 milliards et les tendances des Nations Unies prévoient 9,7 milliards d’individus en 2050 et 11,2 milliards vers 2100. Au delà des questions sur la capacité de notre planète à nourrir l’ensemble de la population ou encore des ressources en énergie dont la consommation primaire mondiale à presque quadruplé depuis 1965, les migrations climatiques pourraient devenir une menace importante pour l’équilibre planétaire. En effet, les populations les plus touchées par cette hausse des températures sont souvent des régions où la démographie devrait augmenter considérablement.
Que ce soit l’Afrique, l’Asie du Sud ou l’Amérique du Sud, les populations touchées par ces températures humides mortelles devraient être amenées à migrer vers les zones habitables, à savoir l’Amérique du Nord, les pays Européens ou le nord de l’Asie. Ce phénomène migratoire sera accéléré par d’autres facteurs tels que la montée des eaux, la déforestation, l’érosion et l’augmentation des catastrophes naturelles. Ces migrations climatiques pourraient faire se déplacer, d’après les estimations de l’ONU, près de 250 millions de personnes d’ici 2050. D’après le travail prospectif de l’agence Christian Aid, s’ajoutent à ces 250 millions, 50 millions à cause de conflits et atteintes aux droits de l’homme et 645 millions de personnes migreraient pour des raisons énergétiques (chiffre basé sur l’hypothèse d’une continuité du rythme actuel de 15 millions/an). Au total ce serait près d’un milliard de migrants qui pourraient avoir lieu d’ici à 2050.
La coopération des acteurs, une des clés pour concevoir les territoires capables de relever les défis à venir
À l’heure où la France se demande si elle a accueilli son premier migrant climatique, avec la possible attribution du statut de réfugié climatique pour un Bangladais souffrant d’une maladie respiratoire – ayant quitté son pays d’origine en raison de la pollution en 2011 – cette gigantesque crise démographique et climatique pourrait venir remettre en question nos capacités d’accueil et l’organisation de nos territoires. Les experts s’accordent pour dire que nos modes de vie doivent changer le plus rapidement possible. Au moment où il nous reste seulement sept ans de budget carbone pour rester en dessous de 1,5°C de réchauffement climatique [1] nous sommes dans une urgence sans précédent. Comment alors se préparer au mieux pour faire face à l’ensemble de ces crises ?
Depuis plus d’un an maintenant, le monde entier a montré qu’il était capable de faire preuve de résilience et qu’il était possible d’agir dans l’urgence. C’est sûrement de cette solidarité et coopération dont le monde va avoir besoin pour construire les territoires de demain et faire face au changement climatique. Le partage des savoirs entre tous les acteurs semble nécessaire pour remodeler nos territoires.
Conscient de ces évolutions qui vont bousculer nos modes de vie et des efforts qui sont à faire pour atteindre les objectifs environnementaux, Leonard mène des réflexions prospectives réunissant des communautés externes concernées par le futur des villes et des territoires ; tels que la construction de scénarios prospectifs pour imaginer un Paris zéro Carbone ou encore repenser la ville et les infrastructures suite à la crise sanitaire. Dans la continuité de ces nouveaux travaux, Leonard initie une nouvelle exploration collaborative portant sur l’aménagement du territoire contribuant à un futur désirable notamment en répondant aux objectifs de l’accord de Paris (2°C), à la conservation de la biodiversité et à la lutte contre l’artificialisation des sols dans un esprit de justice sociale. Ces inspirations doivent permettre à termes d’aboutir à des projets collectifs, à expérimenter en partenariat avec les territoires.
Clément Keriel, Assistant prospective
Avec la collaboration d’Isabelle Lambert, Coordinatrice prospective, Leonard
Références
[1] Le GIEC estime que, pour contenir le réchauffement climatique en-dessous de 2°C, nous ne devons pas émettre à l’avenir plus de 1200 milliards de tonnes de CO2 : c’est notre «budget carbone» total. Au rythme actuel des émissions, ce budget sera épuisé en 2027 pour une limitation du réchauffement à +1.5°C et en 2045 pour +2°C (Rapport préliminaire du GIEC, 2020).