Cet article est issu du yearbook 2024 : « L’innovation a trouvé sa boussole. » Nous avons conçu cette revue annuelle pour vous inspirer et susciter de nouvelles vocations au service de la transformation des villes et des territoires. Bonne lecture !
Le secteur du bâtiment représente 43 % de la consommation énergétique annuelle et 23 % des émissions de gaz à effet de serre françaises selon le ministère de la Transition écologique. Il doit donc considérablement réduire ses émissions pour espérer atteindrela neutralité carbone en 2050. Pour cette industrie, tout l’enjeu consiste ainsi à gagner en efficacité afin de construire de manière frugale et à des prix compétitifs.
Pour résoudre ce défi, le secteur du bâtiment se tourne depuis quelques années vers la contech : contraction de construction et technology en anglais, ce terme désigne les techniques susceptibles de contribuer à améliorer la productivité, la sécurité et l’atteinte des objectifs environnementaux du secteur de la construction et des infrastructures. Les technologies d’intelligence artificielle comptent parmi les plus prometteuses.
L’IA pour des opérations plus fluides
L’IA excelle dans les problématiques d’optimisation, qui visent à faire mieux avec autant ou moins de ressources. Ça tombe bien, la construction en regorge. Partons du début, à savoir les plans de construction. Ici, l’IA peut être utilisée pour faire de la conception générative, afin d’optimiser les plans en fonction d’un certain nombre de critères. Si les humains savent très bien résoudre ce genre de problèmes, l’IA permet d’étudier une quantité bien plus élevée de combinaisons et donc de trouver la solution optimale avec les données dont on dispose. « Faire les calculs à la main prend du temps, parfois plusieurs semaines. Face à cette quantité de travail, on sélectionne bien souvent une solution fonctionnelle mais pas forcément la solution idéale. Avec l’IA, on peut explorer des dizaines de milliers d’options et choisir la meilleure », explique Alexandre Cousin, fondateur de Synaps’Up, équipe consacrée notamment à la conception générative par intelligence artificielle chez VINCI Construction, développée dans le cadre du programme Intrapreneurs de Leonard.
Une fois les plans réalisés vient l’heure d’anticiper l’organisation du chantier, afin de maximiser l’usage des ressources disponibles et d’éviter le gaspillage. Encore une tâche d’optimisation dont l’IA fait son affaire. « Sur un chantier, l’objectif est qu’une grue soit employée 100 % du temps, car sa location coûte cher. Plus elle estutilisée, plus on fait d’économies », précise Bruno Daunay, responsable du programme IA de Leonard. L’IA peut ici permettre de gérer au mieux la logistique pour atteindre cet objectif. Il peut s’agir, par exemple, de définir le moment idéal sur le chantier pour installer des banches pour couler du béton, en vue d’éviter d’avoir à les déplacer ensuite à plusieurs reprises avec la grue, ou encore d’optimiser la gestion des stocks. « Quand on construit un étage d’un bâtiment, on stocke des éléments (ferraillage, planches, etc.). L’IA peut permettre de déterminer l’endroit idéal où positionner ces éléments pour qu’ils ne se trouvent pas sur le chemin des ouvriers et que l’on ne soit pascontraint de les bouger. On optimise la logistique sur le site. »
À propos des matériaux, justement, l’IA est un outil puissant pour gérer l’approvisionnement du chantier. Elle peut analyser les données d’achat, de gestion des stocks et de prévision de la demande pour optimiser les flux de matériaux vers le chantier et réduire le gaspillage.
L’IA pour piloter chantiers et infrastructures à distance
L’IA ne se contente pas d’optimiser les tâches existantes : elle permet également d’imaginer de nouveaux usages, de nouvelles pratiques innovantes. On le sait, la gestion du temps est cruciale dans la construction : un chantier qui se prolonge, ce sont des surcoûts qui menacent la viabilité du projet. C’est pourquoi des ingénieurs spécialisés dans la chrono-analyse sont chargés de suivre le chantier pour vérifier que celui-ci est bien dans les temps.
En outre, l’IA est capable de traiter une plus grande quantité de données issues de sources différentes, et donc de réaliser des estimations plus précises. Ainsi, à l’aide de caméras placées sur les engins de chantier, on peut analyser les images grâce à l’IA et évaluer de la sorte chaque jour dans quelle mesure la construction est sur les rails par rapport à la planification initiale. « On industrialise par conséquent le processus : un ingénieur peut superviser plusieurs chantiers à distance et estimer avec une grande précision le retard ou l’avance qui ont été pris », note Blanca Payas Puigarnau.
C’est également en se combinant à d’autres technologies innovantes, comme le Building Information Modeling (BIM) ainsi que la réalité virtuelle et augmentée, que l’IA peut exprimer son plein potentiel. Ensemble, ces technologies permettent la visualisation et la simulation de projets de construction de manière immersive. Architectes, concepteurs et responsables de chantier peuvent ainsi obtenir une vue plus claire et détaillée des projets, ce qui facilite la communication et la collaboration.
IA et satellites fonctionnent aussi très bien ensemble : les deux technologies utilisées de concert permettent de faire de la maintenance prédictive sur les infrastructures et d’éviter ainsi les pannes, les accidents ou les dommages. « Les algorithmes d’IA analysent les images prises par les satellites et repèrent, à proximité des infrastructures, les signes annonciateurs d’un effondrement, d’un glissement de terrain ou d’un éboulement (déplacements, dégonflements, enfoncement du sol…). On peut ensuite agir pour l’éviter », précise Blanca Payas Puigarnau, directrice générale de Sixense Iberia & Satellite.
L’IA au service de la décarbonation
Plusieurs usages de l’IA sont plus spécifiquement centrés sur la réduction des émissions de gaz à effet de serre. Une première piste consiste à mettre cette technologie au service de la maintenance prédictive. « Aujourd’hui, la maintenance se fait sur la base de l’expérience métier accumulée : on sait que sur une route en béton, par exemple, il faut faire une maintenance tous les cinq ans, donc on met en place une maintenance systématique. Le traitement des données par l’IA permet d’affiner cette connaissance avec la réalité du terrain pour optimiser la maintenance. On peut ainsi découvrir qu’une couche de roulement peut durer deux ou trois ans de plus que ce qu’on aurait cru… Ce qui diminue les besoins de rénovation et donc les émissions », précise Bruno Daunay.
L’IA permet également d’optimiser le choix des matériaux employés dans la construction, en réalisant des simulations et en déterminant par là la meilleure combinaison en fonction de facteurs comme le coût, les délais et l’impact environnemental. « Les alternatives bas carbone au béton traditionnel n’ont peut-être pas la même résistance : les utiliser implique ainsi de recalculer l’infrastructure. L’IA permet d’automatiser ce genre de calculs et de choisir la combinaison idéale. »
L’IA n’est cependant pas une solution miracle. Elle permet surtout d’améliorer l’efficacité des experts humains. « Il s’agit de choses qu’on a toujours faites, la technologie permet simplement d’aller un petit peu plus loin dans la performance. On est donc dans l’optimisation plutôt que dans la révolution », conclut Bruno Daunay.