La ronde (naissante) des matériaux de construction décarbonés

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Yearbook 2024 : l'innovation a trouvé sa boussole
Face au constat d’une industrie de la construction gourmande en ressources, les solutions techniques et d’usage existent. Au-delà de la généralisation des pratiques circulaires à l’échelle de la filière, le développement de matériaux innovants permet d’imaginer une réduction significative de l’impact des activités de construction. Du béton bas carbone aux solutions biomimétiques, les pistes s’avèrent diverses et prometteuses.

Cet article est issu du yearbook 2024 : « L’innovation a trouvé sa boussole. » Nous avons conçu cette revue annuelle pour vous inspirer et susciter de nouvelles vocations au service de la transformation des villes et des territoires. Bonne lecture !

Le béton, fer de lance de la transition

À l’échelle mondiale, le béton représente environ 2,9 gigatonnes d’émissions de CO2 par an. C’est de loin le matériau de construction le plus émissif, et c’est également celui sur lequel les gains de décarbonation peuvent être le plus significatifs. Trois pistes dessinent aujourd’hui l’avenir d’un béton bas carbone.

La première consiste à réduire la part du clinker (qui est le liant principal du béton) dans le ciment. La production de clinker est en effet responsable de la majeure partie des émissions de carbone des cimenteries, alors que cet élément constitue toujours 95 % de la composition des ciments classiques. Selon l’AIE, un taux de clinker de 60 % dans le ciment permettrait d’éviter 35 % des émissions de CO2 actuelles du secteur.

La deuxième piste consiste à remplacer purement et simplement le ciment traditionnel comme liant du béton. Les alternatives à activation alcaline, les géopolymères ou les ciments desulfo-aluminate de calcium promettent aujourd’hui des réductions d’émissions de l’ordre de 90 %, mais ils doivent encore faire la preuve de leur performance et de leur capacité à passer à l’échelle. Enfin, la transformation des procédés industriels, en particulier à travers la séquestration du carbone au niveau des usines, permet d’imaginer une éliminitation significative des émissions de CO2 du béton.

Yearbook 2024 : Article sur les nouveaux matériaux
Crédit : Getty Images

Des matériaux intelligents 

Souvent limités à un rôle de démonstration, les matériaux intelligents sont amenés à se développer. Les matériaux à mémoire de forme, par exemple – qui permettent des niveaux de déformation extrêmes –, sont ainsi largement utilisés dans les domaines du spatial ou de la santé mais peinent à s’imposer dans la construction. Toujours au stade expérimental, certains matériaux mettent à profit les lois de la thermodynamique. Tel est le cas du revêtement UE Power, qui offre la possibilité de transformer le verre en véritable panneau solaire !

Les propriétés piézo-électriques sont également prometteuses. Elles permettent d’imaginer des matériaux capables de générer de l’électricité àpartir d’une contrainte mécanique, comme les vibrations d’un bâtiment.

Le principal enjeu consiste désormais à sortir de l'expérimentation pour passer à l'échelle et industrialiser les solutions.

Le biomimétisme, ou la R&D naturelle 

La nature se révèle une source d’inspiration inépuisable pour le monde de la construction. Le biomimétisme consiste à s’appuyer sur des millénaires de R&D naturelle afin de valoriser certaines propriétés du vivant. Une start-up comme Strong by Form propose ainsi des matériaux composites ultra-légers inspirés de l’orientation naturelle des fibres dans les arbres. Les propriétés hydrophobes des feuilles de lotus sont aujourd’hui utilisées dans le secteur de la construction pour imaginer des surfaces nécessitant peu de maintenance. Tout aussi fascinants, les bétons autocicatrisants mettent à profit la capacité de certaines bactéries à minéraliser la calcite et font l’objet de nombreux programmes de recherche.

Pour généraliser les pratiques de l'économie circulaire, il faut changer les normes et les habitudes.

Le défi du passage à l’échelle 

Les matériaux innovants sont aujourd’hui de plus en plus matures. Les solutions circulaires existent et s’avèrent efficaces. Le principal enjeu consiste désormais à sortir de l’expérimentation et de la proof of concept pour passer à l’échelle, industrialiser les solutions et constater un impact environnemental significatif. Pour y parvenir, un certain nombre de freins restent à lever.

Le levier réglementaire. Le travail sur la réglementation prend aujourd’hui deux aspects. Le premier revient à simplifier et clarifier. Le flou assurantiel autour des matériaux est ainsi régulièrement cité comme un frein au déploiement de l’économie circulaire et des matériaux innovants. Le second, en cours de structuration, implique de mettre en place une réglementation incitative. Avec un plan tel que REPowerEU – dont l’ambition est de mettre fin à la dépendance de l’Europe à l’égard des combustibles fossiles russes –, l’UE se positionne clairement surle sujet de la circularité. En France, la RE2020, en multipliant les contraintes environnementales, s’avère également un allié des matériaux les plus sobres, et en particulier du béton bas carbone.

La dimension culturelle. Le milieu de la construction est soumis à une forte inertie, qui peut s’expliquer par un ancrage profond des pratiques et des habitudes. Pour la dépasser, deux leviers doivent être actionnés en même temps. Il s’agit d’abord de mener un travail de sensibilisation afin de faire connaître les nouveaux matériaux et les solutions circulaires. Il est également impératif de travailler sur la confiance, de manière à rassurer les acteurs du secteur, que ce soit sur la qualité des matériaux issus du réemploi ou sur la fiabilité desmatériaux innovants. Julie Neuville, cofondatrice de Materrup, une plateforme technologique permettant la production de ciments d’argilescrues, expliquait ainsi chez Leonard que le premier défi de l’entreprise avait consisté à « faire accepter l’idée même d’une deep tech travaillant sur l’argile »

L’effet filière. Les prix des matériaux réemployés restent aujourd’hui supérieurs à ceux du neuf, ce qui peut naturellement sembler inacceptable pour les acteurs de la construction. Cette situation est largement due à un manque de structuration de la filière circulaire, qui ne permet pas de bénéficier des effets d’échelle. Les problématiques sont similaires dans le domaine des nouveaux matériaux, qui peinent encore à se mobiliser en écosystème. « Nous devons apprendre à nous parler et à utiliser le même langage. À nous d’aller convaincre les assureurs, les maîtres d’ouvrage et les architectes », explique Armelle Langlois, directrice performance.

Face à l’urgence climatique, le monde de la construction est en train de surmonter l’inertie et la force des habitudes.Dans le domaine des matériaux, cette transformation se traduit par un effort de recherche et d’innovation inédit et pas l’exploration de nouvelles pistes, moins carbonés ou plus proches de la nature. Elle implique également un changement de modèle radical dans l’approvisionnement en ressources et le traitement des déchets, d’une tradition linéaire à un futur circulaire.

Pour aller plus loin : 

Consultez notre étude publiée en partenariat avec Circul’R sur le passage à l’échelle de l’économie circulaire dans la construction et les infrastructures : ici

Leonard a également publié en partenariat avec Hello Tomorrow un rapport en deux parties sur les matériaux innovants : 1. un volet sur les bétons bas carbone. 2. Un autre sur le développement de nouveaux matériaux au propriétés remarquables. A retrouver ici 

 

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