En octobre 2020, se termineront à Nanterre les travaux de gros-œuvre de l’Archipel, futur siège de VINCI et ensemble architectural d’environ 75 000 m2, pensé comme un démonstrateur des savoir-faire du Groupe. Au-delà de la geste architecturale (une série d’îles interconnectées et interdépendantes s’intégrant à un projet de réaménagement territorial de création d’un nouveau quartier mixte à l’ouest de la Grande Arche de La Défense), le projet présente des défis de construction singuliers. L’imbrication entre l’Archipel et la nouvelle gare de Nanterre, tout d’abord, mais aussi la nécessité d’un phasage pensé « à l’envers ». Se posent également des défis logistiques, liés à la progression simultanée de plusieurs autres chantiers mitoyens, qui ont en commun d’être alimentés par l’hyper-fréquenté boulevard de la Défense.
Ville complexe recherche nouvelles logistiques de fabrication
L’Archipel de VINCI est loin d’être un cas isolé tant la « fabrication de la ville » du XXIème siècle fait la part belle aux projets de mutation territoriale et de réaménagements à l’échelle de quartiers entiers. Elle se pense en fait à l’aune d’un nouveau paradigme, celui de la « complexité urbaine ». Au-delà du manque d’espace constructible et de la mise à l’agenda public de nécessaires politiques de revitalisation, la ville se fait « système complexe », et même système inappréhensible et incertain. Elle s’intègre en effet au sein d’un millefeuille territorial peu lisible et ce, pour plusieurs raisons : elle fait s’« emboîter les échelles », elle doit également prendre en compte le temps long et les enjeux récents de réduction du coût environnemental et socio-économique, enfin, sa conception-réalisation est, c’est la norme, multi-partenariale.
Alors que la demande urbaine ne tarit pas, la logistique de la fabrication reflète inévitablement ces enjeux de complexité et se voit contrainte de se réinventer. C’est l’un des objectifs des nouvelles pratiques dites de « smart construction logistics », alimentées et orientées ces dernières années par un vaste projet de recherche mené par JPI Urban Europe, un hub de savoirs paneuropéen dédié aux questions urbaines notamment traitées sous l’angle du génie civil. Ce projet prend pour point de départ deux constats : celui de la la passivité des acteurs sur le sujet de la recherche de nouvelles solutions intelligentes, vertes et sûres pour la logistique des chantiers, mais aussi celui d’une possible opportunité économique (gains de productivité globale de l’ordre de 30%). Après étude des potentiels d’optimisation de vastes projets de développements immobiliers et d’infrastructures urbaines à Amsterdam, Vienne ou Bruxelles, ses conclusions sont sans appel : une inefficience d’organisation (manque de coordination des transports sur le chantier, de planification de la gestion des matériaux, etc.) appelant à fonder une nouvelle « smart governance ». Alexis Commarieu, ingénieur (VINCI Construction) responsable de la logistique des chantiers de l’Archipel, en convient : « il s’agit d’avoir la gestion la plus globale possible, a fortiori dans un chantier qui intègre cinq bâtiments, chacun à un avancement différent, comme le nôtret Maîtriser la complexité, dans un environnement hyper-contraint et mitoyen d’autres chantiers, requiert cette recherche à tout crin d’optimisation des flux ».
Optimiser, plateformiser, numériser
Car même les innovations récentes, comme la centralisation via un construction logistics centre à Vienne ou pour l’impressionnant projet de revitalisation du Royal Seaport de Stockholm, n’empêchent pas chaque entrepreneur de gérer « dans son coin » la manutention de matériaux et la gestion des ressources… La clé : calculer, modéliser et utiliser de nouveaux outils d’optimisation pour planifier et évaluer les « flux » (de transport, notamment) qui composent tout projet de construction, et recourir à l’activity-based costing, méthode de quantification et de pilotage des coûts réels.
Mais les réponses logistiques aux nouveaux défis de la construction, dépassent la seule question, certes cruciale, des outils de planification. C’est l’organisation même, notamment spatiale, des chantiers qui est vouée à être repensée, comme le promeut le concept de « plateforme logistique inter-chantiers », tel que pensé notamment par un acteur de la « lean construction » en vue de réduire le trafic de camions de matériaux en contexte urbain. L’idée de ce projet-lauréat de l’Urban Lab de la Ville de Paris qui sera testé dans le quartier dit d’innovation urbaine « Chapelle-S », est de mutualiser les espaces de stockage et d’optimiser les entrées et sorties de flux en repensant l’organisation à un niveau « méta », c’est-à-dire à l’échelle de plusieurs chantiers situés dans une même zone logistique.
La solution testée met en œuvre une plateforme logistique physique commune mais utilise aussi une application numérique de planification des livraisons et de pilotage de la logistique, en s’appuyant sur une plateforme collaborative de partage en temps réel, des tâches et données (temporelles, spatiales, liées aux volumes) entre les différentes parties prenantes. En un mot : la logistique d’un chantier mise en data et partagée à tous en vue d’être optimisée. A défaut d’espace pour recourir à des zones-tampon, la gestion des flux est amenée à prendre cette voie, et ce n’est pas un hasard si le chantier de l’Archipel utilise cette même interface collaborative. Comme le suggère Alexis Commarieu, « cette pratique s’ancre dans les usages même si elle effraie encore quelques acteurs plus “petits”. Nous parvenons ainsi à faire se croiser le moins possible les flux de livraisons liées au gros œuvre et aux grues et ceux des livraisons gérées par ascenseurs de chantier. Et pour la gestion complexe et articulée au jour le jour du personnel présent sur site, une telle interface représente l’avenir ». C’est une douce mais impactante révolution logicielle qui se dessine, à coups d’API, de serveurs scalables, de consoles d’administration et de plug-ins modulables, comme ceux que propose Kuzzle et d’autres et qui, ère de l’IoT oblige, peuvent se greffer aux données communiquées par les nouveaux outils, machines, matériels et technologies de chantier connectés. Le pilotage numérique des chantiers, au-delà même du « full BIM », est en route.