Quels nouveaux adjoints pour la ville de 2030 ?

Crises sanitaires, changements climatiques ou questions migratoires : les grands centres urbains concentrent et cristallisent les problématiques contemporaines. Nombreux sont ceux qui affirment que la ville constitue une échelle pertinente pour des transformations globales. Dans ce contexte, Building Beyond a souhaité se pencher sur la question des politiques publiques et institutionnelles. Si la ville change, sa gouvernance est amenée à se transformer également. Pour répondre aux questions que la ville ne se pose pas encore, le plus futuriste des conseils municipaux s’est réuni chez Leonard.

Qu’est-ce qu’un adjoint ? 

Animée par Matthieu Brand, journaliste chez Usbek & Rica, la conférence se déroule sous l’œil d’une “véritable” élue, en la personne de Célia Blauel. Adjointe à la maire de Paris en charge de la Seine, de la Prospective et de la Résilience, elle rappelle en préambule les prérogatives de la fonction. “Nous avons trois grandes fonctions : la représentation, la gestion du quotidien et surtout celle de proposer une vision de la traduire en actes, en politiques publiques ou en mobilisation d’acteurs sur un territoire”. Elle mentionne également l’importance de la proximité et la dimension concrète de la mission, pour des élus “à portée de claque”.

 

L’anthropologie contre les pandémies

La première représentante de notre conseil municipal du futur est Tamara Giles-Vernick, responsable de l’unité anthropologie et écologie de l’émergence des maladies à l’Institut Pasteur. Aujourd’hui, elle endosse le costume prospectif d’une future adjointe à la gestion des pandémies. A ce titre, elle milite pour la mise en place d’outils anthropologiques dans une logique de santé publique. La connaissance précise des population fragiles permet en effet de simplifier et d’optimiser l’intervention de la force publique. L’exemple de la ville de Mexico illustre la démarche. Après une enquête de terrain, la capitale mexicaine a pu mettre en place le dépistage de porte à porte du diabète chez les personnes les plus fragiles, dans un pays où 33% de la population est obèse. À côté de cela, l’étiquetage spécifique ou l’imposition d’une taxe sur les boissons sucrées ont eu des effets bénéfiques… Lorsqu’on lui demande les mesures les plus urgentes dans le secteur de la santé, Tamara Giles-Vernick répond par l’analyse des fragilités et une meilleure communication entre villes ou entre secteurs. “Nous devons comprendre les fragilités bien avant l’arrivée de la pandémie. Nous devons favoriser une coordination dans le petit domaine de la santé qui est transversal, il faut travailler avec les écologues, le transport, l’hébergement… Nous devons aussi être honnêtes et dire lorsqu’on ne sait pas !”

Un “permis de faire” pour les agents de terrain

Le deuxième invité, Romain Beaucher, est co-fondateur de l’agence de design Vraiment Vraiment. Il s’est glissé dans le peau d’un futur adjoint au design afin de repenser la place de la discipline dans la ville. “Les designers sont des gens qui conçoivent des dispositifs, des formes, cela peut être des meubles, des signalétiques, de l’information, des métiers, en portant une attention forte aux usages. Le designer sait intégrer la contrainte, réglementaire, budgétaire, etc… Le designer va toujours chercher la désirabilité de ce qu’il conçoit. Enfin, le design est un métier du prototypage…”, explique Romain Beaucher. Selon lui, le rôle de l’adjoint au design sera de faire le lien entre des orientations politiques très vastes, un large panel de contraintes, et “la vraie vie”. Parmi les exemples développés, il s’attarde sur la question des véhicules en free floating (trottinettes et vélos en libre-service). Pour l’acteur public, l’ambition est de réguler la présence de ces nouveaux acteurs tout en préservant leurs promesses (mode de transport doux, porte à porte). Ici le rôle du designer est de proposer “un maillage, un système, des applications ou une signalétique qui permettent aux gens d’identifier une codification des usages”. À la question de la première mesure prise en tant qu’adjoint, Romain Beaucher propose une ouverture de la capacité d’innovation. “La mise en œuvre d’un droit d’innover aux agents de la ville, qui ont une expertise d’usage. Donner aux agents les outils pour avoir une liberté d’action.”

 

Le logement à l’épreuve du COVID-19

Romain laisse la parole à Laura Colini, experte de la politique urbaine et de l’inclusion sociale pour deux programmes européens (URBACT, Urban Innovative Action). Future adjointe au droit au logement, elle intervient au sujet clef du sans-abrisme. Le constat est sans appel : 700 000 personnes dorment dans la rue chaque nuit en Europe, un chiffre en augmentation de 70% sur les 10 dernières années… Pour enrayer le mouvement, Laura Colini présente un grand nombre de démarches, dont l’approche Housing First avec l’exemple de la Finlande, qui fait preuve depuis 2007 d’une forte volonté politique sur le sujet. Elle souligne les transformations liées au COVID-19, qui ont permis de mettre en place des projets trop longtemps retardés, comme les moratoires d’expulsion, le gel des loyers ou les politiques de logements temporaires. À la question de la première mesure à prendre, Laura Colini préconise de faire de la crise sanitaire du COVID-19 un point de bascule, capable d’entraîner une véritable adhésion politique.

 

Vers des villes d’accueil

Enfin, François Gemenne rejoint le plateau. Ancien chercheur en sciences politique et directeur du projet « Politiques de la terre à l’épreuve de l’Anthropocène » au Médialab de Sciences Po, il est aujourd’hui directeur de l’Observatoire Hugo de l’Université de Liège. Sa mission ce soir : endosser le costume de futur adjoint aux migrations climatiques. Sur cette question, le chercheur propose une analyse iconoclaste. “On entend de plus en plus un discours profondément xénophobe qui alerte sur les millions de réfugiés climatiques à venir. Il joue sur la peur des étrangers dans l’espoir de voir les gouvernements réduire leurs émissions”. Tout en revenant sur l’enfer des parcours de migration, il déplore le jugement normatif qui nous fait classer certains migrants (économiques) dans la catégorie des “mauvais” et d’autres (politiques & climatiques) chez les “bons”. Une vision simpliste et scientifiquement infondée pour François Gemenne. Il déplore un débat sur l’accueil et l’intégration phagocyté par le niveau national qui projette l’image d’un pays raciste, alors que partout en France les personnes et les villes sont prêtes à accueillir. “Je souhaite que l’Etat français n’ait plus guère de compétence que pour envoyer un chanteur à l’Eurovision et une équipe de football à la coupe du monde, et que ces compétences d’asile et d’intégration aient été transférées aux villes et à l’échelon local”, conclut le chercheur.

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