L’incendie de Notre-Dame a donné lieu à un cortège naturel de réactions émues et de témoignages touchants. Il a aussi entraîné d’inévitables polémiques. Au milieu de ce tumulte, on oublierait presque que la dégradation et la destruction font partie du cycle de vie de n’importe quel édifice. L’usure, les accidents ou l’évolution des usages entraînent des travaux de maintenance, de reconstruction ou de démolition. Considérées la plupart du temps comme nécessaires, ces interventions prennent une dimension bien plus politique lorsqu’on s’attaque aux monuments historiques. Ces derniers charrient avec eux des symboles et des représentations parfois divergentes et souvent complexes à accorder. Difficile dans ce contexte d’évaluer la meilleure solution technique, entre restauration patrimoniale traditionnelle et utilisation de procédés de construction contemporains. Nous sommes remontés dans le temps à la recherche d’inspiration.
Des procédés ancestraux pour une rénovation patrimoniale
L’église Notre-Dame de Dresde, le pont Stari Most à Mostar (en Bosnie-Herzégovine) ou la porte Sungnyemun à Séoul offrent des exemples de reconstructions « à l’identique ». Dans ces cas de figure, l’ambition est patrimoniale. Il s’agit de conserver un état idéal du bâtiment, de ses matériaux et des techniques. Bien qu’il ne s’agisse pas d’une reconstruction à proprement parler, le chantier médiéval du château de Guédelon s’inscrit dans cette logique. Dans une visée pédagogique, le projet s’inspire des comptes de chantier de l’époque et n’utilise que des procédés médiévaux… Cette précision historique s’accorde avec les principes de la Charte Internationale sur la conservation et la restauration des monuments et des sites de l’UNESCO. Cette dernière précise que « la restauration des monuments vise à sauvegarder tout autant l’œuvre d’art que le témoin d’histoire ».
Au paroxysme de la fidélité historique, on trouve également l’option de « ne toucher à rien ». Plus radicale encore, cette décision concerne souvent les bâtiments victimes de la guerre. Dans ce cas précis, on cherche à conserver la mémoire de l’événement avant l’intégrité du bâtiment. Ainsi, le clocher éventré de l’église du souvenir à Berlin ou le Dôme de Genbaku à Hiroshima constituent des témoignages sensibles en faveur de la paix. Pour autant, ces cas extrêmes ne peuvent pas se passer d’une intervention technique, la plus discrète possible. Ainsi, le mémorial pour la Paix d’Hiroshima s’est vu renforcé à l’aide de résines époxy et de renforts en acier, il fait par ailleurs l’objet d’une surveillance triennale.
Une restauration selon des procédés contemporains ?
N’en déplaise aux romantiques, il y a peu de chances que l’on laisse le lierre grimper sur Notre-Dame ou le soleil frapper sa croix dorée. La cathédrale sera reconstruite. Et même dans le cas d’une restauration à l’identique, il est invraisemblable que le chantier s’appuie uniquement sur des méthodes traditionnelles.
Avant même de poser la première pierre, l’analyse structurelle du bâtiment peut s’appuyer sur des technologies de pointe. La société Uavia propose ainsi un outil d’inspection par drone capable d’identifier les dégâts extérieurs avec une grande précision. Le produit Cyclone de Leica Geosystems propose également une technologie de nuage de points capable de produire des modèles 3D. Dès 2010, l’historien Andrew Tallon avait scanné l’ensemble de la structure de Notre-Dame à l’aide de ce dispositif.
La phase de reconstruction à proprement parler repose sur une multitude de choix techniques qui dépendent largement des enjeux propres à chaque chantier. La plupart des édifices historiques sont de véritables kaléidoscopes, et il reste complexe d’arrêter un instant « t », image idéale pour la restauration. Par ailleurs, identique rime bien souvent avec utopique. L’architecte en chef de Notre-Dame de Paris, Benjamin Mouton, souligne la difficulté d’une telle entreprise et insiste sur l’importance de retrouver la silhouette plutôt qu’une exacte réplique. Lors de la reconstruction du parlement de Bretagne, à Rennes, lamellé-collé et poutres métalliques avaient été privilégiées, pour des raisons « structurelles et de rapidité de mise en œuvre », explique Marie-Line Quéro, ingénieure des services culturels et du patrimoine à la Drac de Bretagne, dans Le Monde. À l’inverse, le château de Lunéville avait opté pour des matériaux traditionnels tels que le chêne ou le sapin massif, pour reproduire une charpente du XVIIIe siècle précisément documentée. Le Collège des Bernardins, dont la structure du nouveau toit est métallique, ou la cathédrale de Reims, dont la charpente est en béton, offrent également de bons exemples de modernisations réussies.
Une galerie enthousiasmante de techniques nouvelles
Reste le sujet insoluble du « geste architectural contemporain » voulu par Emmanuel Macron. Entre les visions opportunistes d’architectes et les plaisanteries potaches d’Internet, chacun y va de son interprétation. L’opportunité pour les professionnels du bâtiment de faire plus ou moins adroitement la publicité pour des technologies contemporaines ou émergentes. L’architecte Jean-Michel Wilmotte a ainsi évoqué une flèche en carbone, une charpente métallique et une toiture en titane, un matériau particulièrement durable. André Joffre, le fondateur du bureau d’études Tecsol, imagine dans Les Échos une toiture solaire. La société hollandaise concr3de propose une reconstruction de certains éléments grâce à l’impression 3D, à partir de pierre et de cendres de l’incendie. Quant au studio NAB, il propose un toit végétalisé et pédagogique, en hommage à la fameuse « forêt », désormais détruite. Si aucun de ces projets ne semble très réaliste face au conservatisme qui prime dans ce type d’accident, ils ont le mérite de mettre en lumière auprès du grand public une galerie enthousiasmante de procédés et de techniques nouvelles !
Ces exemples multiples témoignent de la multiplicité des options et des sensibilités concernant la reconstruction des monuments. À l’évidence, il n’existe pas une seule « bonne » solution. Cependant, un détour par les nouvelles technologies de modélisation nous propose des pistes susceptibles de contenter tout le monde. Numérisés, les monuments les plus visités ou les plus fragiles pourront bientôt faire l’objet de visites virtuelles. Spécialisée dans la numérisation 3D de sites patrimoniaux, Iconem a déja travaillé sur les sites d’Angkor ou d’Alep. Concernant Notre-Dame, l’entreprise AGP s’était déjà penchée sur la question et dispose aujourd’hui d’un modèle extrêmement précis de la « forêt » de la cathédrale.
À l’image de ce qui se pratique dans le monde des archives, les vieilles pierres pourraient bien trouver l’immortalité dans un disque dur !