Révolution dans la construction ? Builders 4.0, à vos marques ! Retour sur la rencontre Building Beyond

BIM, IoT, generative design… les nouvelles technologies et le numérique sont de plus en plus présents dans le secteur de la construction. Ces mutations sont-elles annonciatrices d’une révolution ? A l’heure où les investisseurs se tournent vers la construction tech, comment des nouvelles technologies vont-elles se déployer dans le secteur de la construction ? Une question mise à l’honneur lors d’une table ronde du festival Building Beyond.

Autour de la table se sont retrouvés Darren Betchel, directeur de Brick&Mortar Ventures, Chloé Clair, directrice de l’ingénierie chez VINCI Construction, Robin Rivaton, directeur des investissements chez IdInvest Partners et Olivier Lepinoy, directeur du développement chez Autodesk.   

 

Financement et positionnement face à l’innovation : deux enjeux majeurs

Construction et technologies : des freins qui s’estompent

Darren Bechtel, fondateur de Brick&Mortar Ventures et l’un des investisseurs les plus actifs dans les secteurs du BTP et de la technologie d’exploitation des bâtiments, nous a éclairé sur l’évolution de l’investissement dans la construction tech depuis les années 2000.

Il a d’abord fait état d’un paradoxe intéressant : bien que la construction ou la rénovation soient des besoins universels, peu de structures identifient ces secteurs comme des opportunités d’investissement. Depuis sa création en 2015, Brick&Mortar reste ainsi l’un des seuls acteurs spécialisés sur son secteur. Difficile de trouver une raison unique à cela. Néanmoins, un projet immobilier est nécessairement finalisé en dehors d’usines centralisées ou de laboratoires de recherche-développement. Les bouleversements technologiques sont donc moins aisés que dans d’autres secteurs. Par ailleurs, la multitude d’ouvriers issus de corps de métier différents rend complexe ces évolutions.

Mais aujourd’hui, les contractants généraux sautent le pas et le secteur de la construction tech connait une forte croissance. Le rôle des investisseurs est d’encourager cette dynamique de développement des startups en favorisant les investissements qui leurs sont alloués. Les résultats sont concrets, puisque sur les quatre dernières années, le nombre de startups de la construction tech a doublé, passant de 2000 à 4000.

Il est difficile d’identifier les origines de cette évolution rapide. En d’autres mots, comment savoir qui, de l’investisseur ou de l’entrepreneur, a manifesté son intérêt en premier pour la construction tech ? Cette croissance vertigineuse de l’investissement de sociétés capital risque dans le BTP semble due en premier lieu à l’amélioration de la maturité des technologies de la construction.

Les freins disparus, le cercle vertueux débute

Aujourd’hui, les startups se multiplient enfin, tandis qu’explosent les montants des fonds investis. Des créateurs de nouvelles technologies venant d’autres secteurs commencent à s’intéresser aux opportunités dans le BTP et les constructeurs font preuve d’une véritable appétence pour ces technologies. Selon Darren Bechtel, ce sont autant de signaux que les investisseurs attendaient avant de s’engager en faveur de ces changements radicaux.

Sur les chantiers, l’absence de réseaux préexistants permettant de connecter par exemple des technologies cloud est aujourd’hui résolue. Les contractants sont de plus en plus conscients de l’apport des technologies de l’information et des coûts réduits de connexion des chantiers. Dans le passé, les expériences réussies en matière de sécurité sur les chantiers ont par ailleurs montré que les changements sont possibles, même dans cet environnement particulier.

Comme se sont accordés à le dire l’ensemble des participants, il est aujourd’hui clair que le numérique ne remplacera pas l’humain. La maturité des technologies passe donc aussi par leur capacité à prendre en compte ce facteur de réussite important.

Une nouvelle priorité pour la construction : collaborer entre acteurs

La conjoncture actuelle incite à repenser la construction traditionnelle, son mode d’organisation et son financement. Les acteurs du BTP ont encore trop tendance à utiliser des outils et développer des solutions dans leur intérêt propre. Pourtant il apparait paradoxal, voire contre-productif, de privilégier exclusivement la productivité et la croissance interne à court terme. Elles ont souvent pour conséquence de développer la concurrence sur de nouveaux marchés entre des entreprises qui sont pourtant initialement complémentaires. Il apparaît donc opportun de collaborer pour développer des technologies communes, à même de renforcer les sociétés déjà présentes sur le secteur de la construction. L’arrivée de nouveaux acteurs issus de cultures différentes est en effet une réalité.

Comme le soulignait Darren Betchel, le secteur est et restera attractif, tant que les humains auront besoin d’espace. Le besoin de construction ou de rénovation persistera donc. Quant au numérique et aux technologies d’exploitation des bâtiments, ils participeront de cette dynamique sur le long terme. Preuve en est avec l’intérêt nouveau porté par des entrepreneurs provenant du secteur de l’industrie ou du numérique. Ceux-ci prennent conscience de l’opportunité que peut représenter la construction avec l’intérêt des utilisateurs finaux pour les nouvelles technologies et les nouveaux usages.

Il est donc important d’aborder ce foisonnement de nouveaux acteurs dans le BTP comme une opportunité pour multiplier les collaborations. Darren Bechtel rappelle qu’il est nécessaire de piocher dans les idées formidables de ces jeunes nés dans la technologie et disposant d’une merveilleuse habilité à la développer. Pour ce faire, les programmes d’entrepreneuriat, comme ceux initiés par VINCI avec Leonard, sont l’une des clés de la transition numérique. Fort de son expérience du secteur, l’entreprise peut accompagner les startups afin qu’elles perfectionnent leurs solutions et les adaptent aux acteurs du marché.

 

L’innovation dans la construction tech, révélatrice d’une révolution à venir ?

Un état des lieux contrasté

Le deuxième temps de la rencontre s’est articulé autour de la question d’une potentielle révolution dans la construction grâce au numérique. Dès les premiers échanges, un obstacle est apparu, celui du modèle économique du secteur. Sa stabilité, les cycles de vente longs ou les marges dégagées n’appellent pas l’innovation de rupture. Aussi l’adoption de ces technologies par l’ensemble des acteurs reste encore lente et incrémentale.

Pour Chloé Clair, la transition environnementale offre néanmoins un levier de transformation intéressant. Les réglementations forcent les acteurs à évoluer. Le changement initié par ce biais encourage les entreprises et leurs collaborateurs à aller encore plus loin pour répondre à l’urgence climatique.

Pour Robin Rivaton cependant, c’est avant tout le manque de ressources et de main d’œuvre qui appelleront l’accélération de l’innovation. Le manque de personnel se traduit ainsi par l’adoption d’outils de productivité. C’est ce que l’on voit en Asie, en Europe ou aux États-Unis. Pour lui, la démographie est le meilleur allié de l’innovation dans la construction.

Une révolution en marche, mais invisible ?

Selon Olivier Lepinoy, la révolution la plus visible… est invisible. La productivité dans le BTP est à améliorer.  Mais l’enjeu pour les acteurs du BTP est aussi de capturer plus de  valeur  qu’ils ne le font actuellement. Les outils digitaux permettent d’aller vers cela. D’abord utilisés pour optimiser l’organisation interne, ils sont de plus en plus destinés à un usage de croissance et de gestion des ressources.  Ils permettent aux entreprises de se tourner vers l’extérieur et de coordonner les relations entre plusieurs acteurs, selon des logiques de plateformes. Il en résulte une diversification des business models.

Les grands acteurs du BTP, par l’utilisation croissante de ces plateformes, ont appris en marchant. Aujourd’hui, ils prennent leur destin en main et montent leurs propres plateformes à partir des technologies existantes, et qui répondent à leurs besoins spécifiques. Dans le futur, les bâtiments continueront à être construits de manière assez semblable à aujourd’hui, mais les mécanismes sous-jacents évolueront profondément.

Une illustration concrète de ce processus sont deux plateformes créées par VINCI : l’une outille la mise en œuvre du béton bas carbone et l’autre est rendue nécessaire par l’objectif de réduire la consommation de carburant des engins de chantier. Les données collectées, adossées à des objectifs ambitieux, amènent à un changement de culture sur le terrain. L’exemple des engins de chantier montre néanmoins que les innovations sont interdépendantes. C’est en effet avant tout le fait que les engins soient aujourd’hui connectés qui permet à l’acteur de terrain d’être un acteur direct d’une politique environnementale décidée à l’échelle du groupe.

L’économie circulaire est un bon terrain d’expérimentation. Aux Pays-Bas, l’entreprise de BTP Royal BAM a forgé l’ambition de devenir le leader sur ce marché en lançant une plateforme du type « eBay du recyclé ». L’ambition du groupe est de capturer la valeur des transactions et de rester propriétaire de sa solution. C’est un bon exemple de la complémentarité qu’il peut y avoir entre le développement durable, le digital, et la logique de plateformes.

La coopération une réponse ?

Pour Chloé Clair de VINCI Construction, l’une des réponses à ce défi est la coopération avec d’autres acteurs, qu’ils soient des startups, des TPE ou des industriels. Elle est rejointe en cela par Robin Rivaton pour qui il est primordial de sortir de la logique propriétaire et des coûts maîtrisés afin d’insister sur la nécessaire mutualisation des outils, de manière transversale : les acteurs du BTP auraient tout à gagner à s’associer avec des industriels, tels que des producteurs de matériaux.

VINCI a ainsi initié des projets portant autant sur les méthodes de travail que sur les constituants des bâtiments. Sur le BIM, le groupe a ainsi initié une réflexion pour remplacer les tablettes individuelles peu adaptées à un usage terrain par un grand écran collectif, le « totem digital ». Il a aussi débuté des partenariats avec des entreprises spécialisées dans la préfabrication (salles de bains, gaines, etc.) La question reste néanmoins la relation commerciale entre le groupe et ses partenaires. Ces derniers sont en effet sur des secteurs d’innovation où le ROI est faible en dehors de quelques acteurs. Il est donc essentiel de repenser la relation, dans la mesure où il est peu probable qu’un acteur important vienne bouleverser le marché avec une offre disruptive.

 

Enfin, Olivier Lepinoy est revenu sur un des freins au développement et à la mutualisation des technologies numériques : le problème de la culture de l’innovation. La stratégie d’innovation est différente selon les contextes culturels, rendant les avancées dans un pays plus difficiles à adapter à d’autres réalités culturelles.

 

Pour plus d’infos, lisez le compte rendu du Pitch des start ups de la construction tech, qui a suivi cette rencontre.

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