Comment les technologies peuvent alors faire partie de la solution ? L’étude « Cleantech, Climate tech : to the rescue ? » publiée par Leonard, la plate-forme de prospective et d’innovation de VINCI, dresse un panorama des solutions existantes. Rencontre avec Benjamin Tincq, fondateur de Good Tech Lab et co-auteur de l’étude.
Quel est l’objectif de votre étude « Cleantech, Climate Tech : To the rescue ? »
L’objectif était de proposer un aperçu synthétique mais représentatif de la « deuxième vague des cleantech », ou climate tech, à un moment où Leonard contribue aux réflexions de VINCI (qui a annoncé sa neutralité carbone en 2050) sur l’avenir décarboné des métiers de la construction, de la mobilité et de l’énergie. Nous avons fait un focus tout particulier sur les réponses technologiques au défi climatique et écologique dans les secteurs de l’énergie, de la construction, et des transports. Le document s’insère aussi dans la mission principale de Good Tech Lab qui est de travailler avec les petites et grandes entreprises pour décarboner les sociétés et les économies.
Que sont les Cleantech et les Climate tech et comment répondent-elles aux enjeux de la construction durable ?
Les « Cleantech » popularisées dans les années 2000, renvoient aux technologies répondant aux enjeux environnementaux et d’optimisation des ressources. Il s’agit essentiellement de produits « hardware, » éventuellement connectés, et de biotechnologies, dans les secteurs de l’énergie, de l’eau, des déchets, etc. Le terme « Climate tech » est beaucoup plus récent, moins de deux ans. Il désigne l’ensemble des réponses technologiques face à l’urgence climatique : décarbonation, capture de carbone atmosphérique, et adaptation aux impacts climatiques. Les domaines sous-jacents incluent tant le numérique que les « deeptech, » lesquelles s’appuient sur une innovation scientifique majeure : chimie, matériaux, biotechnologies, énergie, etc. Les deux termes ne sont donc pas antinomiques et sont même relativement proches, mais ils ont émergé à des périodes différentes.
Comment ces solutions répondent aux enjeux de la construction durable ?
On peut distinguer trois grands domaines d’application : l’optimisation de l’efficacité en ressources du bâtiment, les matériaux bas carbone et les processus d’architecture et de construction durable.
L’efficacité énergétique et la maîtrise des flux dans les bâtiments ne date pas d’hier, mais certaines variantes du smart building proposent d’utiliser les capteurs de données environnementales et le machine learning de manière plus poussée. Carbon Lighthouse, par exemple, utilise 300 capteurs par bâtiment, couplés à un algorithme entraîné sur des centaines de jeux de données précédents, pour identifier de nouveaux leviers d’efficacité et réduire la consommation de 20 à 30%. Il est aussi possible d’utiliser comme source d’énergie la chaleur fatale, provenant soit des bâtiments eux-mêmes (climatiseurs, chaleur latente de l’humidité) ou de sources environnantes, y compris non conventionnelles. Je pense par exemple à la chaleur des data centers, ou la chaleur captée par la route, comma la Power Road d’Eurovia. Enfin, les pompes à chaleur constituent sûrement la solution la plus efficace pour décarboner le chauffage et le refroidissement. Certains acteurs comme Dandelion visent à en réduire les coûts d’installation pour les particuliers, par exemple avec un système de forage trois fois moins coûteux.
Cependant, l’un des enjeux majeurs pour le climat, comme l’atteste la RE2020, sera de réduire l’empreinte carbone intrinsèque du bâtiment. Le numérique peut grandement aider à orienter la conception et la construction vers des ouvrages à faible empreinte environnementale, en utilisant la préfabrication, ou des logiciels d’architecture générative. Dans ces derniers, les algorithmes permettent de générer automatiquement des propositions de design répondant à des contraintes fonctionnelles et environnementales, à l’instar de ce que font Autodesk ou Spacemaker.
Mais pour réduire l’empreinte intrinsèque, la clé résidera aussi dans les matériaux eux-mêmes. Par exemple, la production de béton représente 4% des émissions de gaz à effet de serre mondiales, essentiellement à cause du clinker, le composant principal du ciment, qui est dérivé de la cuisson du calcaire. Face à cela, il y a trois stratégies principales : réduire la part du clinker dans le ciment, éliminer totalement le clinker pour créer des ciments alternatifs, ou utiliser d’autres matériaux.
Il est donc aujourd’hui possible de créer du béton… sans béton ?
Dans la première approche, une partie du clinker est substituée par des sous-produits d’autres industries, notamment de la sidérurgie. C’est l’approche la plus mature mais elle est contrainte en volume par la disponibilité desdits sous-produits. Le procédé est davantage viable lorsque les cimenteries sont localisées à proximité des hauts-fourneaux, ce qui est plus facile dans les régions à fort développement comme en Asie.
Dans la seconde approche, le clinker est entièrement remplacé par un autre matériau, comme par exemple la wollastonite, un silicate de calcium dont l’usage est moins émissif que le calcaire. Solidia utilise cette roche pour fabriquer un ciment alternatif, qui est ensuite durci en béton avec du CO2 capturé, permettant de produire des blocs de bétons avec 70% d’émissions en moins. D’autres méthodes consistent à utiliser des micro-organismes qui se développent dans une solution aqueuse à laquelle sont ajoutés les mêmes agrégats que ceux qui sont utilisés dans le béton traditionnel, avec un bilan carbone encore plus faible.
Enfin, dans la troisième approche, on peut utiliser du bois lamellé croisé, dont les propriétés sont proches du béton, et qui se prête très bien à la préfabrication.
Comment les climate tech répondent-elles à une logique d’économie circulaire ?
En développant premièrement des matériaux issus du recyclage, ou encore mieux, du réemploi. L’idée est de pouvoir anticiper et préparer la phase de déconstruction dès la phase de construction en recensant les composants (portes, murs intérieurs, etc.) et les matériaux employés. On peut connecter à la maquette BIM cet inventaire, que certains appellent un « passeport matériaux, » de manière à identifier plus facilement leur destination de réemploi. Ce concept est développé par des entreprises comme Madaster, une entreprise néerlandaise qui a mis en œuvre un site pilote avec ING, ou encore grâce à des programmes européens comme « Buildings as Material Banks ».
On questionne de plus en plus les technologies sur leur capacité à répondre aux défis climatiques, souvent associées à des procédés énergivores et consommateurs de ressources. Comment concilier technologie et frugalité ?
Les technologies ne sauraient constituer l’unique réponse aux enjeux environnementaux actuels, elles n’en sont que l’un des leviers. Il est impératif de composer avec un portefeuille de solutions larges et pluridisciplinaires : des solutions politiques, comportementales et enfin techniques. On ne relèvera pas le défi climatique sans une dose importante d’innovation technologique, y compris de rupture. Mais ladite rupture doit également se faire dans la création d’un nouvel imaginaire, de nouveaux indicateurs de progrès sociétaux plus pertinents que le PIB. La sobriété des usages est essentielle, en tout cas dans les pays riches qui ont déjà acquis un certain confort de vie. Mais il est également possible de développer des technologies sobres, comme en attestent les produits issus du réemploi ou du recyclage.
Quels sont les obstacles persistants dans la construction durable ?
Les filières des nouveaux matériaux durables sont encore émergentes, elles doivent se consolider, les coûts doivent encore baisser avec les économies d’échelles, la réglementation doit évoluer, les mentalités doivent changer. Il faut qu’un maître d’ouvrage soit aussi confiant pour recommander à son client des matériaux plus bas-carbone que des matériaux traditionnels ! La route est encore longue mais les débuts de cette révolution sont très prometteurs, sur le béton et l’acier bas-carbone, le bois lamellé-croisé, etc.
Il y a aussi un grand besoin de progrès dans le financement des startups « deeptech » qui s’appuient sur de l’innovation scientifique ou technologique de rupture. Elles ont souvent du mal à se financer au démarrage, quand le risque technologique est perçu comme trop important, ou le temps de développement trop long. Elles ont également souvent du mal à financer leur usine de démonstration, car le capital-risque n’est pas du tout adapté au financement de capex importants, et les outils financiers qui le sont visent en général des grands projets d’infrastructure, avec des montants bien plus importants. Mais je pense que ces problèmes seront en partie résolus dans les années qui viennent. On observe néanmoins un intérêt croissant de la part des investisseurs dont certains nous contactent directement. L’accroissement de l’exposition aux risques liés aux effets des changements climatiques les amène à revoir leur stratégie. Les opportunités que représentent les climate tech, y compris dans la construction, également.
Propos recueillis par Mathilde Driot, Construction21