Quelles sont les promesses tenues par le BIM ?
Pour tout ce qui touche à la conception et à l’exécution des projets, au niveau ingénierie TCE [tous corps d’état], le BIM s’est montré puissant pour le concepteur et le constructeur général, pour assembler les corps d’état et piloter les études.
Il faut savoir que les compétences d’architecte d’exécution, ou encore d’ensemblier tous corps d’état, nécessitent une bonnegestion des impacts entre corps d’état, leur priorisation, leur ordonnancement les uns par rapport aux autres, ces compétences tendant à se perdre ces dernières années. Le BIM nous restitue cette dimension d’ensemblier.
Par ailleurs, les projets se complexifient tant d’un point de vue technique que de performance (énergétique, labels), délai, et se multiplient.. Sans un outil de conception BIM, toute une partie de ces projets ne serait pas réalisable. Je citerais la Canopée des Halles, la Cité du vin à Bordeaux, le Musée des Confluences à Lyon, les tours Duo à Paris, le projet The Link, …mais l’ingénierie BIM versus le jumeau numérique apporte aujourd’hui également aux logements ou au tertiaire.
La synthèse de tous les corps d’état est très efficace en 3D. La logistique et l’organisation des chantiers sont, à l’évidence, bien plus parlante en 3D (le Plan d’Installation de Chantier 3D interactif), voire 4D (le phasage chantier). Quand toutes les entreprises échangent autour d’un écran, le BIM se révèle très puissant.
Enfin, l’une des réussites du BIM est pour moi celle de l’archivage et la mise à jour des données de chantier dans un seul espace numérique, la maquette, pour tendre vers ce qui se rapproche le plus d’un jumeau numérique.
Le BIM est largement utilisé. Est-ce vrai aussi pour le jumeau numérique ?
Le jumeau numérique est une cible, vers laquelle on tend, mais qui n’est pas encore atteinte. L’ingénierie BIM relève de l’usage d’un outil venu optimiser nos processus. Mais il y a encore une distance entre la maquette numérique théorique « études » telle que celle que nous retrouvons sur l’ensemble de nos projets sous BIM, issue des phases de conception, et le chantier. Tout l’enjeu est de les rapprocher, et d’amener la maquette numérique études au plus près du « tel que construit ». Nos clients aujourd’hui demandent de plus en plus, contractuellement, que notre maquette de fin de chantier, appelée DOE (Dossier des Ouvrages Exécutés) soit fidèle à l’exécution. Historiquement, dans la pratique, les DOE 2D ne “collaient” pas toujours parfaitement avec ce qui avait été fait sur chantier. Avec le BIM, il est très facile de voir, dans la maquette numérique, les écarts avec le « tel que construit ». A titre d’exemple, il est demandé désormais dans plusieurs de nos marchés (aéroport, logement, usine d’éolienne) de justifier la mise à jour de notre maquette à l’avancement du chantier dans l’objectif d’avoir en fin d’exécution un DOE du « tel que construit », tous corps d’état. C’est un appel très fort à améliorer la qualité des procédés de construction, et c’est sans doute un des effets directs les plus importants du BIM aujourd’hui.
Le passage du BIM à de « vrais » jumeaux numériques, tels ceux en usage dans l’industrie, augure-t-il d’une industrialisation de la construction ?
Plutôt qu’une industrialisation de la construction, je crois que nous sommes plutôt en train de voir émerger un nouveau métier. Plutôt que de vouloir à tout prix réformer la construction, il est peut-être plus judicieux de considérer qu’il y a une autre façon de construire, différente de celle pratiquée usuellement, et qui s’appuie sur la construction hors site, à partir d’outils digitaux. Envisager les jumeaux numériques comme une sorte de jeu vidéo devant radicalement transformer la construction est une chose. Mais n’oublions pas que le processus BIM études-travaux est déjà bien ancré dans les chantiers, et totalement applicable sur site. On peut cependant aller plus loin, et pour lever certains freins encore présents, la construction hors site est une solution.
L’enjeu du BIM, au-delà de la qualité d’exécution, se situe-t-il aussi dans la maîtrise des impacts environnementaux des ouvrages tout au long de leur cycle de vie ?
Aujourd’hui, la structuration des données utilisées dans les maquettes numériques est encore loin d’être optimale. Les normes existent, et permettent de créer des maquettes extrêmement riches, mais elles demeurent insuffisamment partagées. Le secteur doit encore progresser. Dans la même perspective, il faut encore améliorer l’interopérabilité avec certains métiers, notamment les bureaux d’étude structure. Et surtout, si l’avenir du BIM est la maîtrise des impacts environnementaux – ce que je crois – alors là aussi l’interopérabilité avec les logiciels dédiés à cette problématique doit encore largement progresser. Ce n’est que quand ces progrès auront été faits que le BIM sera un véritable levier pour améliorer l’impact environnemental des ouvrages tout au long de leur cycle de vie – et ce sera d’autant plus vrai si on ne limite pas l’usage du BIM à la réduction des émissions de CO2, mais qu’on s’appuie aussi sur les données de qualité de l’air, d’acoustique, de réemploi des matériaux, des flux de déchets… Pour cela, il nous faut disposer d’un plus grand retour d’expérience. L’expérience du BIM sur l’exploitation-maintenance existe – je pense par exemple à la plateforme TwinOps de VINCI Facilities ou encore à Next-BIM (qui rapproche le BIM du réel in situ). Mais elle reste encore limitée : elle concerne le plus souvent des bâtiments tertiaires assez simples. Il faut aller plus loin, et acquérir de l’expérience sur des ouvrages fonctionnels plus complexes, comme des aéroports, des stades, des logements…, ceci afin que le secteur puisse jouir des bénéfices du BIM et de son jumeau numérique notamment en exploitation ,phase la plus rentable du BIM.