Le secteur du BTP est très proactif sur la question des accidents. Sur les 10 dernières années, les chiffres sont plutôt stables en Europe, et en forte baisse en France (-29% en 10 ans). Néanmoins, le secteur fait face à de nouveaux risques, une sinistralité moins liée aux dangers du chantier lui-même qu’à des changements systémiques. Une étude de l’ANSES publiée en 2018 met ainsi en valeur l’impact du changement climatique sur la santé des travailleurs. Le document très complet identifie trois principales transformations : la hausse des températures, la modification des risques biologiques et chimiques, et la modification de la fréquence et de l’intensité des aléas climatiques. L’année 2020, touchée de plein fouet par la pandémie de COVID-19, tout en étant une des plus chaudes jamais enregistrée, illustre bien le phénomène…
Le changement climatique transforme les conditions de travail
Les effets du réchauffement sont particulièrement nocifs. Une étude internationale de l’Université de Copenhague et de l’Université de Thessalie démontre que le stress hydrique combiné à de fortes chaleurs entraîne une baisse de la performance de 4% sur les tâches cognitives et de 16% sur les tâches motrices complexes. Plus dramatique encore, la NRDC (Natural Resources Defense Council) estime que 70 000 travailleurs (ous secteurs confondus) sont décédés aux Etats-Unis depuis 1992 à cause la chaleur. Mais l’impact du changement climatique ne s’arrête pas là. La multiplication des événements climatiques extrêmes (incendies, inondations, sécheresses) ou les pics de pollution – toujours plus ou moins liés à l’impact de l’activité humaine sur l’environnement – posent de nouvelles questions de santé. La NRDC met ainsi en garde contre les poussières fines liées à la sécheresse. Entre 1940 et 2015, plus de la moitié des cas de valley fever (une infection mycosique) dans le monde étaient dues aux coccidioides transportées dans les nuages de poussière.
Le risque sanitaire est plus que jamais d’actualité
Difficile d’aborder la question des risques systémiques sans un détour par la question sanitaire, feuilleton incontournable de notre actualité. Les ouvriers du bâtiment ont été particulièrement confrontés au COVID-19. Une étude du Centre européen de prévention et de contrôle des maladies place la construction entre le secteur militaire et l’éducation pour le nombre de clusters observés. Souvent considérés comme essentiels, les professionnels du secteur se sont retrouvés tenaillés entre le risque d’une perte d’emploi et la maladie. Dans ce contexte, le monde du BTP s’est organisé pour assurer la sécurité de ses agents. Au-delà des gestes barrière ou de l’arrêt pur et simple de certains chantiers, des protocoles drastiques sont mis en place. Désignation de référents COVID, limitation de la coactivité et organisation des circulations sont au programme.
En dehors du contexte actuel, changements climatiques et risques pandémiques sont souvent intimement liés. Le réchauffement favorise par exemple la prolifération des moustiques, qui transmettent des maladies telles que zika ou le chikungunya. Aux Etats-Unis, l’OSHA propose toute une série de mesures pour se prémunir des insectes : limiter les eaux stagnantes, drainer les réservoirs, nettoyer quotidiennement les déchets ou encore favoriser l’aération des espaces intérieurs…
L’importance du risque psycho-social
Ces transformations globales compliquent les conditions de travail des acteurs de la construction et de la ville en général, parfois au point de poser la question du risque psycho-social. Une étude de la CDC montre que les hommes dans le secteur de la construction aux Etats-Unis affichent des taux de suicide 4 fois plus élevés que la moyenne (53 pour 100 000). Au Royaume-Uni, ce chiffre est trois fois supérieur à la moyenne nationale. Selon le Guardian, cette prévalence s’explique par l’isolation des travailleurs, l’absence de sécurité de l’emploi, la difficulté et le risque inhérents à certaines tâches et la pression d’un monde encore très masculin. Un article publié dans l’International Journal of Environmental Research and Public Health pointe même l’influence du changement climatique sur la santé mentale des travailleurs en extérieur. L’organisation à but non lucratif dédiée au bien être au travail Chess Connect, propose six piliers pour favoriser la santé mentale des travailleurs du bâtiment : éviter la stigmatisation du sujet, favoriser les échanges, définir un plan d’action, soutenir les employés, travailler sur la confiance en soi et s’attaquer aux faits de harcèlement.
De nouvelles réponses pour de nouveaux risques
Traditionnellement, le milieu de la construction s’est focalisé sur la sécurité “sur site”, plus que sur la santé des agents. Un certain nombre d’initiatives existent, mais elles restent très marginales. En France, l’OPPBTP met régulièrement à jour ses recommandations pour lutter contre le COVID-19. Aux Etats-Unis, l’OSHA (Occupational Safety and Health Administration) déploie depuis 2011 un programme pour lutter contre la chaleur dans le secteur de la construction. Sur les sujets de santé mentale, les choses évoluent également. A ce titre, le chantier de la centrale nucléaire Hinkley Point C (HPC) au Royaume-Uni est assez exemplaire. Après avoir identifié un risque de suicide 10 fois plus important que celui de l’accident mortel, HPC a fait appel à 200 “mental health buddies”, afin d’offrir une oreille attentive aux ouvriers. Le site a également fait appel à un aumônier et à un ancien champion de boxe pour aborder le sujet, tout en proposant des notices informatives sur le site du chantier…
Au-delà de la réponse par les normes et l’accompagnement, des innovations plus “structurelles” sont également nécessaires. De manière générale, la transition vers des chantiers plus “verts” permet de limiter l’impact du BTP sur l’environnement tout en protégeant la santé du personnel. A ce titre, les chantiers zéro-émission formulent de belles promesses. Sur le sujet, la ville d’Oslo et sa Clean Construction Policy sont exemplaires et prévoient und réduction des émissions (GES, particules fines et oxyde d’azote) de 95% d’ici 2030. L’évolution des procédés constructifs offre également des réponses. Les promoteurs de la construction préfabriquée et modulaire mettent en avant une réduction des risques d’accidents et un environnement moins propice aux contaminations. Enfin, les nouveaux outils technologiques portent de belles promesses. La combinaison d’IoT et d’intelligence artificielle permet d’anticiper les risques de santé, la robotisation limite les risques humains sur les tâches ou les sites les plus dangereux, et les technologies immersives de VR ou de gamification permettent une sensibilisation plus efficace du personnel.