Une industrie mûre pour l’économie de plate-forme
“Le Covid nous a fait gagner 10 ans en termes d’usage sur le digital”, explique Stéphanie Bigeon Bienvenu, directrice de la communication et de la transformation de l’OPPBTP. Pour le secteur du bâtiment, historiquement averse aux transformations numériques, c’est un véritable bond en avant. Comme dans tous les secteurs, les outils de collaboration à distance ont permis de poursuivre le travail. Selon McKinsey, le BIM, la 4D, la 5D ou les solutions de jumeaux numériques (lire notre précédente Face A), parce qu’ils ont notamment permis aux équipes, au moins partiellement, de poursuivre les activités de conception ou de maintenance à distance, ont bénéficié des contraintes sanitaires. Une étude menée par BIMProject indique que 61% des professionnels du secteur reconnaissent que les outils numériques sont devenus fondamentaux après la pandémie. Du moins ceux qui, a minima, permettent de rassembler en un même espace virtuel les compétences, les outils métiers et les données des projets, ou étendent ces capacités au-delà des limites de l’entreprise, en facilitant la rencontre entre offreurs de solution et constructeurs. Chacun aura reconnu là les caractéristiques des plateformes numériques, ces “services contemporains d’appariement algorithmique d’informations, relations, biens et services”, comme les définit le sociologue Antonio Casilli, professeur à Telecom Paris.
Au-delà du Covid, l’avènement des plateformes formule des réponses aux enjeux historiques du BTP. Techcrunch en identifie 4 principaux : la fragmentation des expertises facteur de ralentissement des projets, la mauvaise communication qui coûte 31 milliards de dollars par an en erreurs de chantier rien qu’aux Etats-Unis, le manque de transparence concernant l’information, et enfin la difficulté à réunir une main d’œuvre qualifiée. Pour Finalcad – pépite française du secteur – cette nouvelle vague d’outils offre également au BTP l’opportunité d’améliorer des marges historiquement faibles (2% environ). Devant cette promesse alléchante, les investissements suivent : ils ont plus que doublé en moins de 10 ans dans les ConTechs.
Un paysage en pleine consolidation
Quelles solutions apportent les plates-formes ? Comment s’organise la compétition ? Le paysage de la Construction Tech est encore en mutation permanente, mais un certain nombre de grandes familles d’outils émergent. Dans son Top50, Cemex Ventures distingue quatre catégories :
- Sécurité & durabilité, autour de startups comme Viact qui propose une solution d’automatisation de la surveillance de chantier appuyée sur des technologies d’IA, d’IoT ou de 5G.
- Supply Chain, avec des acteurs comme Voyage Control, qui développe une plateforme de gestion logistique pour les sites de construction.
- Productivité, qui réunit des outils comme Archdesk, une plateforme de gestion de chantier intégrée, capable d’encadrer la gestion de projet (process, contrôle de production, plannings), l’économie du chantier (facturation, budgets, etc…) mais également le reporting, les RH, le CRM et même la gestion des stocks…
- Nouveaux matériaux et nouvelles méthodes de construction, où l’on retrouve les jeunes pousses qui bousculent les savoir-faire traditionnels. Une start-up comme Mighty Buildings propose ainsi une technologie d’impression 3D dédiée à la construction.
Dans sa cartographie des contechs, McKinsey va plus loin dans la granularité et propose 37 missions réparties en 3 grandes catégories : collaboration numérique, back-office et opérations sur site.
Toujours selon le cabinet de conseil, les sujets les plus porteurs aujourd’hui peuvent être réunis en 4 “clusters” : chaîne logistique et approvisionnement, optimisation et place de marché ; intelligence artificielle et analyse des données ; impression 3-D, modularité et robotique ; et enfin jumeaux numériques.
S’il reste difficile de distinguer clairement les leaders du secteur, un suivi attentif des levées de fonds donne de bonnes indications sur les sujets clefs. Les “licornes” Procore et Katerra proposent respectivement une plateforme de gestion de chantier et une offre associant une plateforme rassemblant architectes et compagnons à une solution de construction modulaires et standardisées. En Inde, infra.market – récemment auréolée du statut de licorne après une levée de fonds de 100M$ – développe une solution dédiée à la logistique des matériaux. Dans le même temps, le leader historique du secteur – Autodesk – participe au dynamisme de la Construction Tech avec une politique agressive de rachat. En témoigne l’acquisition de PlanGrid en 2019 pour 875 millions de dollars !
Le temps de la maturité
Si le paysage est encore fragmenté, les prochaines années devraient donner lieu à une consolidation du marché, avec l’émergence de leaders indiscutables. En France, la fusion entre Sogelink, qui propose des solutions logicielles d’accompagnement pour les acteurs du bâtiment, et Géodesial, un champion de l’ingénierie géomatique, illustre cette tendance aux rapprochements stratégiques.
En termes de métiers, les acteurs de la Construction Tech doivent encore surmonter certains freins. Une étude publiée par Procore et le FMI souligne les principaux reproches adressés aux technologies de construction. Sur le podium, on trouve la difficulté à faire adopter les solutions aux équipes (34%), la difficulté d’utilisation (17%), et l’absence d’intégration entre les différentes plateformes (16%). Dans la très grande majorité des cas, les fonctionnalités ne sont pas remises en cause alors que l’adaptation “culturelle” semble plus complexe. Dans ce contexte, il est peut être temps pour les acteurs de la Construction Tech de ne plus se penser comme fournisseurs de services, mais bien comme partenaires technologiques, capables d’accompagner leurs clients au quotidien. Autrement dit, de ne plus considérer le modèle de plateforme comme un support neutre réunissant besoins et réponses à ses besoins, mais de voir dans les plateformes des dispositifs susceptibles d’inspirer et d’impulser des stratégies d’action.