Contexte
Les transports aériens et maritimes émettent respectivement 915 millions de tonnes et 940 millions de tonnes de CO2 par an, ce qui représente environ 2,5 % des émissions mondiales de CO2. Compte tenu de la forte croissance de la demande prévue au cours des prochaines décennies et de l’imminence des objectifs de décarbonisation, le besoin de mesures d’atténuation des émissions et de technologies à faible émission de carbone est pressant dans ces deux secteurs. Tous deux se sont engagés à réduire au moins de moitié leurs émissions de CO2 d’ici à 2050 par rapport aux niveaux de 2005 pour le secteur de l’aviation et aux niveaux de 2008 pour l’industrie maritime, certains acteurs clés visant même la neutralité carbone d’ici à 2050.
Si le changement a été lent jusqu’à présent, le paquet réglementaire FitFor55 proposé par la Commission européenne en juillet 2021 pourrait induire un changement plus rapide en renforçant le marché actuel de plafonnement et d’échange de CO2 pour l’aviation et en créant un nouveau système d’échange de CO2 pour les émissions maritimes.
Mobilité aérienne
Réduire les émissions des avions
En 2019, 4,5 milliards de passagers et 58 millions de tonnes de fret ont été transportés par les compagnies aériennes du monde entier. Alors que le secteur de l’aviation devrait doubler d’ici 2050 (soit 8 milliards de passagers prévus d’ici 2050), il est essentiel de réduire les émissions de carbone de l’aviation. À cette fin, plusieurs solutions pourraient être exploitées en plus de l’amélioration continue des opérations au sol, du trafic aérien et des technologies actuelles :
- Les carburants d’aviation durables (SAF) produits à partir de matières premières peuvent être mélangés jusqu’à 50 % avec le carburéacteur classique et offrent des réductions de carbone significatives sur le cycle de vie sans aucune modification des avions/moteurs et des infrastructures de distribution de carburant actuels. Cependant, les SAF n’offrent pas une option entièrement décarbonisée et dépendent de la disponibilité de la biomasse ou d’autres matières premières.
- L’hydrogène peut être utilisé par les aéronefs de différentes manières.
- L’hydrogène vert (c’est-à-dire produit par l’électrolyse de l’eau alimentée par des sources d’électricité renouvelables) peut être combiné au CO2, créant ainsi une réduction du CO2 sur le cycle de vie, pour produire des biocarburants synthétiques qui, comme le SAF, peuvent ensuite être mélangés à des carburants fossiles et utilisés dans des moteurs à réaction classiques.
- L’hydrogène sous forme liquide peut être directement utilisé comme combustible et brûlé dans des turbines à gaz modifiées.
- L’hydrogène sous forme liquide peut être converti en énergie électrique par une pile à combustible et utilisé par un avion propulsé par des moteurs électriques.
Pour être adoptés en masse, les aéronefs propulsés à l’hydrogène devront relever les défis suivants :
- Compte tenu de la faible densité énergétique volumétrique de l’hydrogène, sa forme liquide est privilégiée par l’industrie aéronautique pour stocker davantage d’énergie à bord des futurs aéronefs. Comme cela nécessitera de nouvelles conceptions d’avions et de réservoirs, il faudra accélérer le renouvellement de la flotte. Un récent rapport de l’entreprise commune McKinsey/ Piles à combustible et Hydrogène prévoit le remplacement de seulement 40 % de la flotte court et moyen-courrier d’ici 2050 dans son scénario le plus optimiste.
- Les moteurs électriques ne sont actuellement pas adaptés en raison des besoins en puissance instantanée au décollage des avions commerciaux (à l’exception des petits avions comportant un nombre très limité de sièges).
Adapter les plateformes aéroportuaires
La production et la distribution de ces carburants de substitution vont modifier les aéroports tels que nous les connaissons aujourd’hui. Si les carburants SAF ou synthétiques n’auront pas d’impact opérationnel parce que leur manipulation et leur distribution sont identiques à celles du carburant conventionnel Jet A1, l’introduction de l’hydrogène gazeux et liquide nécessitera une adaptation importante des plateformes et des réglementations aéroportuaires. La production et la distribution locales d’hydrogène pourraient être plus adéquates pour répondre aux demandes côté piste et côté ville, c’est-à-dire aux demandes des équipements d’assistance au sol, à la mobilité lourde liée aux activités de fret et de logistique, ainsi qu’aux demandes provenant des écosystèmes aéroportuaires. Avec l’introduction de l’hydrogène liquide, la manipulation de l’hydrogène cryogénique sera nécessaire tout au long de la chaîne de stockage et de distribution, ce qui obligera les exploitants d’aéroports à acquérir de nouveaux équipements et une expertise spécifiques.
En fin de compte, l’industrie prévoit que les aéroports de demain se résumeront essentiellement à de grands centres de production et de distribution d’hydrogène répondant à la fois à la demande de l’aviation et à la demande locale d’hydrogène.
Nécessité d’actions de collaboration dans l’ensemble de l’écosystème
Aujourd’hui, l’ensemble de la chaîne de valeur de l’aviation semble prendre le train de l’hydrogène en marche pour en faire l’une des pièces maîtresses de l’aviation décarbonée de demain :
- Les constructeurs d’avions comme Airbus affichent des ambitions claires à moyen terme pour des avions à hydrogène sur les courts et moyens courriers, et sur les longs courriers à plus long terme. Son rival Boeing reste notablement hors course à ce stade. Pipistrel, qui produit des avions de 10 passagers, a fait voler son premier modèle à hydrogène. Des start-ups cherchent également à perturber ce secteur, comme Universal Hydrogen avec ses pods modulaires pour un stockage plus facile, ZeroAvia…
- Des compagnies aériennes comme British Airways, SAS et EasyJet ont exprimé leur intérêt pour les avions à hydrogène.
- Des opérateurs aéroportuaires tels que VINCI Airports lancent leurs premières expériences (par exemple à l’aéroport de Lyon St-Exupéry) afin d’apprendre et de commencer à établir des partenariats utiles pour la production et la distribution d’hydrogène sur et autour des aéroports.
Mobilité maritime
Environ 90% des marchandises mondiales sont transportées par voie maritime. Cela représentait en 2019 environ 11 milliards de tonnes de fret et cette demande devrait augmenter de 50 à 250 % d’ici à 2050.
Réduire les émissions des navires
Pour atteindre les réductions d’émissions de gaz à effet de serre fixées par l’Organisation maritime internationale, le secteur devra s’appuyer sur différentes technologies :
- Pour les petits navires (bateaux fluviaux, ferries, barges) :
- Des batteries électriques pourraient être utilisées mais leur faible densité énergétique les limite à des applications plus légères.
- L’hydrogène sous sa forme liquide pourrait être utilisé dans des piles à combustible pour alimenter des moteurs électriques. L’opérateur norvégien Norled vient de recevoir un ferry à hydrogène liquide, le « MF Hydra », d’une capacité de 300 passagers et 80 voitures.
- Pour les navires plus importants traversant les océans (cargos, pétroliers…) :
- Le gaz naturel liquéfié (GNL) offre déjà des avantages en matière de réduction des polluants atmosphériques (NOX, SOX et particules) mais n’offre pas une solution entièrement décarbonée car le GNL est un combustible fossile qui émet du CO2 (soit une réduction du CO2 d’environ 20%). Si les transporteurs de GNL utilisent déjà le GNL pour leur propulsion, de plus en plus de navires ne transportant pas de GNL passent au GNL en tant que carburant plus écologique.
- Les biocarburants peuvent être incorporés au diesel pour commencer à réduire les émissions de CO2 et peuvent même être considérés comme neutres du point de vue du cycle de vie lorsqu’ils ne sont pas mélangés au diesel, car la biomasse utilisée pour leur production absorbe le CO2. Toutefois, leur limite réside dans la disponibilité de la biomasse (c’est-à-dire la concurrence avec la production alimentaire).
- L’ammoniac vert (NH3) peut être produit par le procédé Haber-Bosch qui combine l’hydrogène vert produit par électrolyse et l’azote séparé de l’air. L’ammoniac peut ensuite être soit directement brûlé dans un moteur à combustion interne, soit utilisé dans des piles à combustible spécifiques pour produire de l’énergie électrique.
L’industrie maritime prévoit actuellement que l’ammoniac vert pourrait être la meilleure voie vers un transport maritime long-courrier sans carbone, compte tenu de ses avantages suivants :
- L’ammoniac ne nécessite pas de stockage cryogénique à bord comme l’hydrogène liquide, ce qui pourrait avoir un impact sur la charge utile disponible des grands cargos.
- L’ammoniac a une densité énergétique deux fois supérieure à celle de l’hydrogène et peut être stocké sous sa forme liquide à température ambiante.
- L’ammoniac étant aujourd’hui une matière première chimique majeure utilisée dans plusieurs applications (par exemple, les engrais), le secteur du transport maritime est déjà habitué à manipuler de l’ammoniac, et des infrastructures de stockage et de distribution sont déjà en place.
Rotation des navires
La durée de vie des navires est généralement comprise entre 20 et 30 ans selon le type de navire (pétroliers ou gaziers, porte-conteneurs, navires de marchandises diverses, vraquiers…). Si les biocarburants peuvent être utilisés dans les moteurs existants, l’utilisation de l’hydrogène et de l’ammoniac nécessiterait soit des adaptations des moteurs actuels s’ils sont brûlés directement comme carburant, soit de nouvelles chaînes cinématiques complètes s’ils sont utilisés par le biais de piles à combustible. Cette dernière option nécessite le remplacement complet des navires et serait donc liée aux cycles de renouvellement des navires.
Nécessité d’actions de collaboration dans l’ensemble de l’écosystème
Des partenariats et des coalitions seraient nécessaires dans l’ensemble de la chaîne de valeur du transport maritime pour financer les efforts de recherche et de développement et diffuser l’adoption dans l’ensemble du secteur. Cela est d’autant plus nécessaire pour ce secteur que la plupart des technologies envisagées n’en sont encore qu’au stade du prototypage.
Le Maersk McKinney Moller Center for Zero Carbon Shipping est un exemple intéressant de cluster industriel ayant pour ambition de définir une stratégie de transition commune et de favoriser les développements technologiques pour atteindre les objectifs de réduction des émissions de GES du secteur.
Conclusion
Les mobilités aériennes et maritimes sont toujours à la recherche de l’énergie la plus adéquate pour alimenter leurs applications lourdes et long-courriers, pour lesquelles les batteries électriques présentent des limites importantes. Si l’hydrogène sera l’une des voies permettant à ces industries de respecter leur engagement de réduire au moins de moitié leurs émissions d’ici 2050, voire d’être neutres en carbone à cette date, les défis liés à l’adaptation des infrastructures portuaires et aéroportuaires, à la rotation lente des avions et des navires, et à l’interopérabilité inhérente au transport maritime intercontinental, devront être relevés par tous les acteurs de ces industries, à savoir les fabricants (équipementiers d’avions et de bateaux), les transporteurs (compagnies aériennes, compagnies maritimes) et les opérateurs d’infrastructures (aéroports, opérateurs portuaires).
Les projets en cours au sein de VINCI
– Au sein de VINCI Energies, Barillec Marine contribue déjà à cette transition en développant des chaînes de traction électriques ou hybrides pour les applications maritimes.
– VINCI Airports lance actuellement un hub hydrogène à l’aéroport de Lyon St-Exupéry en partenariat avec Vinci Construction et Eurovia capable de distribuer entre 500 kg et 2 tonnes d’hydrogène par jour pour répondre aux besoins de l’aviation, de la mobilité lourde et légère et de l’industrie dans la région.
– L’unité HyMobility de VINCI Construction dédiée aux projets hydrogène travaille actuellement sur un projet de production d’ammoniac au Grand Port de Bordeaux et un projet de mobilité fluviale à Nanterre en collaboration avec Shell.
Sources :
https://www.atag.org/facts-figures.html
https://ec.europa.eu/clima/policies/transport/shipping_en
https://www.icao.int/annual-report-2019/Pages/the-world-of-air-transport-in-2019_fr.aspx
https://spectrum.ieee.org/why-the-shipping-industry-is-betting-big-on-ammonia
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