Mobilité zéro émission : quelles infrastructures pour un marché partagé ?

Une paix des braves est en train de s’esquisser entre partisans de l’hydrogène et de la batterie, les deux technologies de stockage de l’énergie destinées à propulser les véhicules électriques. Largement mise en scène, leur opposition tend à se muer en complémentarité : batteries pour les usages personnels urbains, et hydrogène pour les trajets longs, les flottes professionnelles, les poids lourds.... Reste à trancher la question des infrastructures, vitale pour pousser la demande.

“La voiture à hydrogène est complètement absurde”. Cette phrase, prononcée en 2015 par le PDG de Tesla Elon Musk, résume le duel fratricide que se livrent les industriels de la mobilité électrique qu’oppose depuis plusieurs années le choix des batteries ou de la pile à combustible à hydrogène. Mais alors que s’intensifient les initiatives de lutte contre la pollution et le changement climatique, l’une et l’autre technologies ont de solides arguments. Les champions des deux camps sont Tesla, fleuron de la Silicon Valley et acteur du marché de la voiture à batterie, et Toyota, le géant japonais qui mène celui de la voiture à hydrogène avec son modèle Mirai.

Reuters estime que “les investissements dans les véhicules électriques annoncés à ce jour sont d’au moins 19 milliards de dollars pour les constructeurs automobiles américains, 21 milliards en Chine et 52 milliards en Allemagne”. En France, le coût total des investissements nécessaires s’élèverait entre 25 et 35 milliards d’euros d’ici 2050. À l’échelle mondiale, le montant de 2 700 milliards de dollars est avancé, pour permettre à 500 millions de véhicules électriques de disposer d’infrastructures de recharge.

Si ces sommes sont majoritairement destinées à la voiture électrique à batterie, elles concernent également la voiture électrique à pile à combustible à hydrogène. Generals Motors prévoit en effet de lancer 20 nouveaux véhicules électriques d’ici 2023. Car si les deux modèles s’affrontent depuis plusieurs années, ils ne sont pas pour autant antinomiques et pourraient même se compléter.

 

Une potentielle complémentarité

En raison de la taille et du poids des batteries, les véhicules électriques à batterie sont plus adaptés aux trajets courts de véhicules particuliers. L’hydrogène stocke lui plus d’énergie en moins de poids, ce qui rend les piles à combustible efficaces pour les véhicules ayant une charge importante et effectuant de longs trajets. Benoît Potier, le PDG d’Air Liquide, estimait sur France Info au début de l’année 2018 : « Le marché de départ de l’hydrogène sera plus sur les moyens de transport professionnels (bus, train, camion), avant d’être la voiture de monsieur tout le monde. »

Une récente étude du cabinet McKinsey explique que la voiture à pile à combustible à hydrogène serait ainsi plus adaptée aux véhicules de transport. McKinsey révèle notamment que “la Corée du Sud prévoit de convertir 26 000 autobus en hydrogène et Shanghai d’acheter et d’exploiter 3 000 autobus à pile à combustible d’ici 2020”. En France, un plan national de 100 millions d’euros consacré au développement de la voiture électrique à hydrogène a été annoncé le 1er juin 2018. L’objectif de ce plan est dirigé vers les véhicules de transports : persuader les entreprises d’acheter 5 000 camionnettes et 200 camions d’ici 2023. Le groupe américain Anheuser-Busch a lui récemment annoncé qu’il allait utiliser 800 camions à hydrogène pour ses livraisons. Mais ce nouveau carburant séduit également les flottes captives. Dans les Pyrénées, le projet Hyport investit 15 millions d’euros pour déployer des véhicules électriques à hydrogène sur l’aéroport Tarbes-Lourdes-Pyrénées.

L’un des secteurs où l’innovation est la plus foisonnante reste le ferroviaire. En Allemagne, Alstom a mis au point un train roulant grâce à des piles à combustible. La société française doit en livrer 14 exemplaires d’ici 2021 à la région de Basse Saxe. Le premier prototype, nommé Coradia iLint, a reçu il y a quelques semaines le feu vert pour circuler en Allemagne. D’une autonomie de 1000 km, il peut transporter 300 passagers à une vitesse de 140km/h.

Comme l’expliquait récemment Ballard Power Systems, fournisseur d’énergies propres, l’un des avantages de l’hydrogène est qu’il ne nécessite pas l’installation d’infrastructures d’électrification. Les trains à hydrogène produisent leur électricité à partir de la pile à combustible. D’un coût quasiment identique à celui d’un train classique, le train à hydrogène n’émet aucune émission et rejette uniquement de l’eau. La recharge de la pile est également beaucoup plus rapide qu’une recharge de batterie électrique.

L’innovation ne se restreint pas au train. Le 27 octobre, Ballard Power Systems a annoncé dans un communiqué que le premier tramway électrique à hydrogène au monde était à l’essai dans la ville de Tangshan, en Chine. Un nouveau marché à conquérir ?

 

L’épineuse question des infrastructures de recharge

Dans un précédent article, nous avions donné un aperçu des aménagements que réclamerait le déploiement à large échelle du véhicule électrique en ville. La complémentarité des usages électrique – hydrogène induit une complémentarité des besoins en infrastructures. Destiné aux trajets courts et urbains, l’électrique nécessite un maillage dense de stations de recharge.

En zone périurbaine, la solution se trouve peut-être dans les domiciles des particuliers. À Sydney par exemple, moins de 10% des voitures parcourent plus de 100 km par jour. L’immense majorité des véhicules n’auront donc besoin que d’une recharge le soir, en rentrant à la maison. La promesse de Teslad’avoir une voiture entièrement chargée tous les matins” est en passe d’être tenue avec le connecteur mural de la marque.

Les grandes villes semblent miser sur leurs parkings : la voiture autonome et partagée, destinée à être toujours en mouvement ou presque, les rendent en partie obsolètes. Peut-on vraiment envisager leur reconversion en zones de recharge ? Certains architectes conçoivent d’ores et déjà des parkings réversibles, et le New York Times imaginait des campus universitaires dépourvus de tout parking. Hors des zones urbaines, la conversion des stations classiques commence.

Si TOTAL comptabilise déjà 65 000 bornes de recharge véhicules électriques en Europe, dans 25 pays, dont 8 800 en France, et plus de 50 stations TOTAL sont déjà équipées de bornes de recharge rapide. Les stations-service existantes constituent également un terrain de jeu prometteur pour l’hydrogène. Fort d’une autonomie plus élevée et destiné aux trajets longs et aux poids lourds, l’hydrogène doit en effet investir des zones stratégiques hors du réseau urbain.

Le Japon, dans son désir de devenir la “société de l’hydrogène”, fait ici figure de pionnier. Dès 2016, le pays avait ouvert 100 stations-service à hydrogène, et souhaite en ouvrir 1 000 d’ici 2020. Toutefois, “nous avons du mal à trouver des aires libres dans les villes où se concentre la plus forte demande, nuance Tetsufumi Ikeda, directeur général de l’Association pour la recherche et l’utilisation de l’hydrogène (HySUT). Le prix du terrain est cher et il faut de l’espace pour ce type d’installation.”

Fournissant la flotte de 100 taxis à hydrogène Hype, Air Liquide cible les trajets aéroport – domicile et a installé ses deux premières stations à Orly puis à Roissy. Le fleuron français, et ses 18 stations déjà opérationnelles dans l’Hexagone, sera bien aidé par le programme national qui vise 5 000 véhicules en circulation d’ici 2023. En France, un cahier des charges particulièrement strict encadre toutefois l’implantation des bornes de recharge, préconisant notamment que seuls les étages supérieurs des parkings puissent en être équipés, afin de prévenir les  risques d’incendie.

Une station d’hydrogène requiert des lieux de stockage, des machines pour compresser, refroidir et liquéfier le gaz à -40°C pour faire le plein. Au Japon, “les normes et les distances de sécurité nous imposent d’être à au moins 8 mètres de la route et des autres distributeurs, précise Fuminori Yamanashi, en charge des infrastructures à l’HySUT. C’est plus compliqué que pour une station classique car nous devons nous équiper de nombreux instruments de contrôle pour éviter le scénario catastrophe avec l’explosion d’un réservoir.A fortiori dans un pays où les risques sismiques sont élevés.

 

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