Plus de la moitié de la population vit aujourd’hui en ville et, d’ici 2050, ce chiffre devrait atteindre 70%. Cette urbanisation à marche forcée, couplée au réchauffement climatique, induit des risques nouveaux pour les citadins, en tête desquels les catastrophes naturelles, dont la fréquence va s’accroissant.
Depuis 1992, le nombre de personnes touchées par une catastrophe est de 4,4 milliards (soit 64 % de la population mondiale) et les dommages économiques s’élèvent à environ 2 000 milliards de dollars (ce qui équivaut à 25 années d’Aide Publique au Développement). Les villes touchées par des sinistres de grande ampleur, comme La Nouvelle-Orléans, peuvent mettre plus de dix ans pour revenir à la normale, avec de fortes inégalités socio-environnementales dans la rapidité de ce rétablissement.
La résilience urbaine face au réchauffement : un concept désormais central
Cette capacité à retourner à un état d’équilibre précédent une perturbation, les scientifiques le décrivent par le concept de résilience. Le terme, venu de la psychologie, a été transposé pour la première fois au champ de l’écologie par le canadien Crawford Stanley Holling, dans un article paru en 1973.
Dans le contexte urbain, la résilience climatique décrit la capacité de la ville et de ses habitants à faire face aux crises et leurs conséquences, et à anticiper, par l’adaptation de leurs infrastructures et de leur organisation, la réaction aux événements climatiques extrêmes – vagues de chaleur, submersions, précipitations exceptionnelles, sécheresse…
En 2011, l’architecte Marco Stathopoulos (aujourd’hui membre du Groupe d’études et de recherches philosophie, architecture, urbain) dans l’article “Qu’est-ce que la résilience urbaine ?” (Revue Urbanisme n°381) précisait :
« Contrairement à la ville stable, sécurisée, hiérarchisée, optimisée et normée, chère au développement durable, la ville résiliente est flexible et transformable. Elle fonctionne en hétérarchie [organisation favorisant la coopération et les relations entre ses membres plutôt qu’une structure ascendante], limite les dépendances et multiplie interconnexions et redondances entre les différentes échelles de fonctionnement. Le risque fait partie de ses fondements, tout comme les ressources qui peuvent s’en dégager… La crise est révélatrice d’opportunités »
A mesure que se multiplient et s’intensifient les événements extrêmes liés au réchauffement climatique – les fuites du prochain rapport du GIEC sont à ce titre singulièrement alarmantes- le concept de résilience urbaine fait l’objet d’approfondissements, et s’impose comme un axe structurant de la réflexion sur le futur des mondes urbains. La Fabrique de la Cité lui a consacré un rapport en 2018, dans lequel est mise en évidence l’importance d’anticiper les impacts pour les réseaux d’infrastructure et des flux de population. Leonard a de son côté produit un Emerging Trends donnant des pistes pour penser et construire des infrastructures résilientes au risque climatique, et a accompagné les réflexions d’un groupe de travail dédié aux enjeux de la résilience des infrastructures face aux conséquences du changement climatique, à l’initiative du comité exécutif de VINCI. Le parcours Intrapreneurs de Leonard a également servi d’incubateur au bureau d’étude dédié Resallience.
La résilience devient partie prenante des politiques urbaines
En parallèle de ces travaux d’ancrage conceptuel, la notion de résilience s’est peu à peu insérée dans les stratégies de développement des villes. En 2013, la Fondation Rockefeller a ouvert la voie avec l’initiative 100 Resilient Cities, visant à développer un réseau de cent villes dotées des ressources financières, logistiques et opérationnelles susceptibles d’accroître leur résilience. Les 100 villes qui ont été sélectionnées, sur les 1 000 ayant postulé, représentent un cinquième de la population mondiale. Au total, près de 655 millions de dollars ont été collectés auprès d’organismes publics, privés et caritatifs pour mettre en place des projets de résilience urbaine et partager des solutions éprouvées pour faire face, par exemple, au stress hydrique (Cape Town, Chennai, Santa Cruz), ou à la fragilisation des infrastructures (Miami).
ONU Habitat travaille également avec les gouvernements locaux et leurs partenaires afin d’augmenter la résilience des villes face aux conséquences des catastrophes naturelles et anthropiques. L’initiative compte plusieurs volets, dont son Outil de Profilage de la Résilience Urbaine, qui suit une approche holistique centrée sur les personnes pour analyser la ville entière du point de vue de la résilience. Le Centre de Résilience Urbaine met pour sa part à disposition des gouvernements un espace de connaissances, un ensemble des bonnes pratiques et d’innovations dans lesquelles emprunter pour les adapter à chaque contexte spécifique
Opérationnelle en France et en Amérique du Nord, l’initiative Climate City aide pour sa part les villes à s’adapter au réchauffement climatique en proposant un suivi en temps réel de différents indicateurs permettant d’anticiper pics de pollution, épisodes caniculaires et catastrophes naturelles. Elle s’appuie pour cela sur les « Climate birds », un réseau de drones et de ballons captifs volant autour des villes pour collecter des données locales.
Aiguillonnée par son partenariat avec 100 RC, Paris fut l’une des premières métropoles mondiales à adopter, dès 2015, une stratégie dite d’adaptation aux risques encourus, nommant un Haut Responsable à la Résilience chargé de mettre en œuvre des politiques publiques transversales susceptibles de protéger la ville des chocs présents et futurs.
La résilience bientôt inscrite dans la loi
En France, la notion de résilience va désormais faire partie intégrante des textes officiels. En effet, l’Assemblée nationale a adopté en première lecture, le 4 mai dernier, le projet de loi Climat et résilience. Un texte inspiré des propositions des 150 citoyens tirés au sort de la Convention citoyenne pour le climat, destinées à réduire de 40 % les émissions de gaz à effet de serre de la France d’ici à 2030 par rapport à 1990 – ambition susceptible d’être révisée à la hausse, l’Union Européenne s’étant engagée, au même horizon, à une réduction de 55%.
Plusieurs élus écologistes et ONG environnementales ont dénoncé un texte trop timide face à l’ampleur de la menace climatique. Dans le détail, il apparaît par ailleurs que le texte se concentre davantage sur l’atténuation du réchauffement (mesures en faveur de la rénovation des “passoires thermiques”, mesures en faveur de la réduction de l’usage d’énergies fossiles dans le transport lourd…) que sur les mesures d’adaptation, dont la plus évidente semble être la volonté de mieux préserver les sols naturels. Le texte de la loi prévoit de diviser par deux le rythme d’artificialisation des sols, en interdisant notamment la construction de centres commerciaux sur des zones rurales, ce qui peut contribuer à limiter les effets de ruissellement lors de phénomènes pluvieux exceptionnels. Une avancée modeste, mais qui porte bien l’empreinte désormais indélébile du concept de résilience dans la délibération publique fixant le cadre des aménagements futurs des villes et des territoires.