Véhicules autonomes : it’s the map, stupid!

Constructeurs automobiles, géants de la tech’ et nouveaux acteurs cherchent tous à être les premiers à développer « la » carte des routes du monde permettant aux véhicules autonomes d’y circuler en toute sécurité. La lutte est féroce avec, au cœur des convoitises, les données des grandes entreprises de mobilité. Un marché vertigineux, mais incertain tant les estimations divergent sur la date de mise en circulation effective des voitures autonomes.

Application Iphone - carteDemain, les véhicules autonomes n’utiliseront pas nécessairement Google Maps pour s’orienter sur les routes. La firme de Mountain View, défricheur historique de la carte numérique mondialisé, avait remporté la première bataille industrielle de la cartographie numérique en « couvrant le globe avec ses voitures et à l’aide d’une expertise logicielle sans commune mesure avec celle des sociétés de navigation, des constructeurs automobiles ou même d’Apple », comme l’analyse Bloomberg. Une nouvelle compétition, toutefois, s’engage, autour de la cartographie haute définition nécessaire à la navigation embarquée des véhicules autonomes.

 

Indexer le monde, en temps réel

Cette cartographie HD, dite « de (haute) précision », détaillée au décimètre voire au centimètre près, permettra d’orienter le véhicule via un traitement embarqué des données,  « afin de minimiser les communications avec les infrastructures dans le Cloud », explique Nvidia. Le logiciel de cartographie procède par comparaison, rapportant les données recueillies par les capteurs du véhicule aux informations de la cartographie HD.

Plus qu’un index physique, la carte devient un véritable système d’informations, mêlant données de trafic (y compris la détection d’accidents), conditions météorologiques, signalisation, travaux temporaires, état de la voierie, probabilités de trouver une place de stationnement, etc.

Les industriels du véhicule autonome et connecté ne sont pas les seuls à attendre la cartographie HD : tous les opérateurs de la ville intelligente en auront besoin pour leurs services temps réel, bien souvent géolocalisés.

L’un des plus grands défis de cette compétition qui s’engage : les cartes HD devront être actualisées en permanence ou presque. Ce « quasi-temps réel » nécessite une puissante infrastructure (stockage, traitement et diffusion des données).

 

Un marché plus grand que celui des moteurs de recherche

L’industrie automobile et les constructeurs lancent leurs propres initiatives de cartographie HD, en direct (Ford, General Motors) ou en soutenant de nouveaux entrants (Argo AI, Mapbox). Les géants de la mobilité issus du numérique ne sont pas en reste : Waymo du groupe Alphabet (qui par ailleurs dispose avec Android Automative d’un OS pour les voitures connectées, Android Automative), mais aussi Uber sont sur les rangs, en quête d’un marché que Baidu estime « bien plus grand » que le marché des moteurs de recherche.

D’autres acteurs spécialistes de la cartographie se positionnent, même s’ils ne disposent pas de flottes de véhicules autonomes ou connectés à même de récolter les données nécessaires.

Parmi eux figurent avant tout les spécialistes reconnus de la navigation et de la cartographie, TomTom NV et surtout Here (anciennement au sein de Nokia, détenu désormais par Audi, BMW, Mercedes et Intel). Here, associé à l’équipementier pour véhicules autonomes Mobileye, a lancé dès 2016 Open Location Platform : une plateforme pour crowdsourcer sa récolte de data auprès de partenaires, qui transmettent leurs données en échange d’un accès à la cartographie. Le trio allemand de constructeurs automobiles avait ouvert la voie, et 2018 marque deux pas supplémentaires : tous les nouveaux véhicules BMW et Volkswagen connectés mis en circulation en 2018 participent désormais à la collecte, et la plateforme s’ouvre à toute société qui le souhaiterait. Mobileye, entre-temps acquis par Intel et qui se positionne face à Nvidia dans la course aux solutions pour véhicules autonomes, multiplie en parallèle les annonces de partenariats nouveaux (municipalités, transporteurs, etc.) pour accélérer sa collecte.

Baidu suit une stratégie analogue : comme Android en son temps, le Chinois propose depuis juillet 2017 un OS pour véhicules autonomes, Apollo, auquel chaque marque est libre de s’associer. En retour, Baidu n’attend de ses près de 100 partenaires que… leurs données. Bien plus que dans la compétition des tableaux de bords connectés, le nerf de la guerre est ici la donnée, et plus précisément l’organisation de sa collecte.

 

 La carte, le territoire… et la signalisation

Quelle que soit l’approche, la « carto » pour véhicules autonomes requiert des déploiements et des investissements conséquents : flotte de véhicules autonomes bardés de lidars et autres capteurs ou, à défaut, capacité de nouer de solides partenariats, et, dans tous les cas, des savoir-faire avancés en matière d’ingénierie algorithmique et de modélisation.

In fine, chacun suit son chemin. Mais, pour l’heure, sans standards ni prévalence d’une ou de l’autre stratégie cartographique, de multiples incertitudes persistent. Les cartes HD embarquées suffiront-elles, ou le monde physique – la route toute entière, ses infrastructures et sa signalisation – devra-t-il lui aussi s’équiper pour interagir avec les machines ? Comment les cartographies propriétaires s’interfaceront-elles avec des infrastructures connectées communes à tous les véhicules ? Les données de mobilité, de services intelligents, doivent-elles devenir de véritables biens commun, ou du moins être considérées comme des données “d’intérêt général” et ouvertes en conséquence ? Ces cartographies nouvelles, les points d’interaction entre infrastructure et véhicules, doivent-ils être en open source ? La route pour véhicules autonomes reste décidément pavée d’incertitudes.

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