L’impact environnemental de la conception à l’exploitation, véritable enjeu du jumeau numérique

Les technologies numériques ont investi le secteur de la construction, et le BIM est aujourd’hui incontournable dans un large éventail de projets. Le jumeau numérique, avatar vivant du bâtiment, promet de contribuer à l'amélioration de l'empreinte énergétique du bâtiment.

De la maquette au  jumeau numérique

En 2015, l’historien de l’art belge Andrew Tallon a effectué un minutieux scan au laser de la cathédrale Notre-Dame, dans le but de concevoir une carte numérique en 3D de l’édifice pour ses travaux de recherche. Après l’incendie de 2019, les équipes chargées de la reconstruction ont mobilisé l’héritage de l’historien (aujourd’hui  disparu) au service d’une lourde tâche de Building Information Modeling (BIM), un travail de structuration et de visualisation des données du bâtiment (modèle 3D, méthodes de construction, nature des matériaux composant l’ouvrage et leurs propriétés, comme la résistance thermique ou les performances acoustiques, volumes et surfaces,…). Le 14 avril dernier, l’aboutissement de ces travaux a permis à la société Art graphique et patrimoine (AGP), en partenariat avec le CNRS, de livrer un modèle numérique complet de la cathédrale, qui constituera un allié précieux des compagnons chargés de la reconstruction.

L’importance que revêt le BIM dans les travaux de Notre-Dame reflète la place croissante que cette technique occupe aujourd’hui dans le monde de la construction et de l’urbanisme. Le BIM a par exemple été mobilisé dans la construction de la Canopée des Halles, de la Cité du vin à Bordeaux, ou encore du futur siège de VINCI, l’Archipel, à Nanterre – autant d’ouvrages complexes qui ont imposé l’usage du BIM. Plus récemment, plus de 70% des bâtiments construits dans le cadre du nouveau parc Disneyland de Shanghai l’ont été dans un environnement BIM. Chez VINCI Construction France, les projets sous BIM représentaient en 2019 déjà 30% du chiffre d’affaires. Et nombreux projets d’envergure internationale conduits par le Groupe sont appuyés par le BIM. Cette dynamique de massification traverse tout le secteur, comme en témoigne le partenariat noué entre  Bouygues Construction et Dassault Systèmes pour créer une plateforme de gestion de projet qui permettra de réaliser facilement des jumeaux numériques, ces avatars vivants du bâtiment, évoluant en parallèle de l’ouvrage réel. Les deux entreprises souhaitent convaincre 15 000 utilisateurs en trois ans, en mettant notamment en avant le meilleur contrôle qualité permis par la technologie.

Mais si le jumeau numérique précède la construction de l’ouvrage, il évolue également avec celui-ci, intègre modifications et événements, voire documente les étapes futures de déconstruction. Le BIM accompagne ainsi aujourd’hui les acteurs de la construction tout au long du cycle de vie du bâtiment. On peut non seulement simuler la construction d’un immeuble, mais encore optimiser sa gestion tout au long de son existence (consommation d’énergie, sécurité, maintenance prédictive, etc.) : c’est ce que l’on nomme le bâtiment intelligent. Durant la pandémie, la technologie a ainsi prouvé son utilité en permettant de simuler le déplacement du public dans les bâtiments, les gares et autres lieux publics et d’analyser ainsi les risques sanitaires, ainsi que la meilleure façon d’assurer la distanciation sociale.

 

Le défi des données

Fin 2018, le gouvernement français a acté le potentiel de compétitivité du BIM en  lançant le plan BIM 2022, qui débloque 10 millions d’euros pour accélérer la digitalisation du secteur. L’objectif : massifier l’utilisation de la maquette numérique 3D intégrée dans un processus de travail collaboratif BIM pour tous les professionnels de la construction.

Si le BIM est obligatoire dans certains pays, comme la Suède, le Danemark ou encore Singapour, il n’est pour l’heure en France que fortement suggéré.

Des technologies de pointe viennent également le renforcer. La création de la jeune pousse Discern, fruit d’une association entre VINCI Construction et les Chantiers de l’Atlantique, mobilise ainsi la réalité augmentée au service du BIM, dans le cadre d’un chantier de construction. L’objectif : réduire au maximum la perte d’information entre les équipes sur le chantier et le bureau d’étude, en mettant à jour le modèle numérique en direct grâce à la réalité augmentée.

Adossé au BIM, émerge désormais le BOS, pour Building Operating System. Véritable système d’exploitation pour immeubles intelligents, il croise les données du BIM avec d’autres sources (comme les données produites par les occupants : réservation des salles, lumière, température, qualité de l’air, connectivité, dialogue avec les applications extérieures au bâtiment), brise les silos et permet de doter les bâtiments de services auto-apprenants et évolutifs.

Dans la pratique, la collecte et le traitement des données nécessaires à la mise en place du BIM et du BOS se heurtent toutefois à des obstacles. L’effort à consentir pour que le BIM démontre sa pertinence opérationnelle est double: il faut à la fois rapprocher la réalité du modèle, en extrayant les données du chantier, et diffuser l’information de manière accessible et fluide, sur le chantier. De nombreuses startups se positionnent aujourd’hui pour relever le défi de la remontée d’information. A titre d’exemple, Chronsite, projet porté dans le cadre du Parcours IA de Leonard, utilise caméras et deep learning pour identifier et mesurer la durée des tâches sur le chantier. Sur le volet BOS, les logiciels de Spinalcom analysent les 10 à 20 000 points de mesure issus de chaque bâtiment de l’Archipel pour bâtir un véritable système d’exploitation des bâtiments.

La collecte et la structuration continue des données impliquent des investissements dont les bénéfices immédiats existent – comme l’accès aux plans numériques sur les chantier – mais restent le plus souvent minoritaires vis à vis des bénéfices de long terme – comme l’optimisation de la gestion de chantier, qui a besoin d’acquisitions de données sur plusieurs chantiers avant de pouvoir extraire des recommandations robustes. Pour les différentes parties prenantes, l’intérêt qu’il y a à collecter les données n’est donc pas toujours évident.

Se pose également la question du partage et de la compatibilité des données entre les différents acteurs : mettre en place une démarche BIM implique de travailler, en matière de données, avec un langage commun. Par exemple, « valeur U » et « transmission thermique » signifient la même chose, mais un programme informatique pourrait les prendre pour deux entrées différentes, entraînant des doublons et faussant les calculs. Là encore, cet effort autour de l’entrée des données et de la communication ne va pas de soi et réclame des incitations.

 

Un atout dans l’amélioration de l’impact environnemental

En théorie, le retour sur investissement est important : un rapport du Boston Consulting Group paru en 2017 a ainsi montré que l’adoption des technologies digitales pourrait réduire jusqu’à 20 % les coûts des projets de construction d’ici 2025. Si le débat persiste sur la réalité des réduction de coûts à attendre dans les phases de construction, les économies liées aux gains en matière d’efficacité énergétique semblent bien moins contestables. BIM et jumeau numérique apportent ici, en effet, un avantage essentiel, en permettant d’effectuer facilement des simulations pour limiter les futures pertes d’énergie, par exemple en testant la qualité environnementale des matériaux et l’isolation thermique.

Des logiciels de simulation thermique du bâtiment, comme Archiwizard ou encore Pleiades, peuvent ainsi être utilisés au sein de la maquette numérique. Celle-ci permet également de réaliser une analyse du cycle de vie d’un bâtiment, tel qu’exigé par le label Energie+ Carbone- (E+C-), conçu pour contribuer à la lutte contre le changement climatique dans la construction. Des solutions logiciels de calcul du bilan carbone conformes à ces exigences, comme Elodie, développé par le Centre Scientifique et Technique du Bâtiment, ou encore Vizcab, de Combo Solutions, sont aussi progressivement déployées. L’usage du BOS, grâce aux données fournies par des capteurs dans le monde physique, permet ensuite au bâtiment d’améliorer encore son empreinte énergétique au cours de son cycle de vie. Le potentiel du numérique touche même jusqu’à la fin de vie du bâtiment : le BIM permet par exemple de diagnostiquer les déchets avant démolition.

Conscient du potentiel de ces solutions au service de la transition énergétique, les pouvoirs publics s’efforcent de leur côté de mettre en place un cadre pour favoriser leur adoption. Opérationnel de septembre 2017 à février 2020, le projet européen BIMEET visait ainsi à former les professionnels de la construction au calcul de l’efficacité énergétique dans une démarche BIM. Le secteur du bâtiment est le plus gros consommateur d’énergie en France, avec 46% de la consommation énergétique nationale, et le secteur a émis en 2019 dix milliards de tonnes de CO2 dans le monde, un niveau jamais atteint auparavant. Le terrain de jeu  des  outils numériques est immense, et le BIM et le BOS devraient s’affirmer comme des leviers importants de progrès.

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